Branle-bas de réflexion autour du plan annuel 2024-2025
Dans les salles feutrées de l’Institut de la Francophonie pour l’Éducation et la Formation, sur les hauteurs du Plateau des 15-Ans, les laptops crépitent et les tableaux interactifs déroulent une litanie d’indicateurs. Depuis lundi, pédagogues congolais, experts de l’AUF, représentants de l’Union européenne et hauts fonctionnaires du ministère de l’Enseignement préscolaire, primaire, secondaire et de l’Alphabétisation planchent sur le plan de travail annuel de la troisième phase du programme « Apprendre ». Le Congo, l’un des huit États bénéficiaires, y joue une carte majeure : celle d’une professionnalisation accélérée de ses enseignants, condition sine qua non pour redresser des indicateurs d’apprentissage jugés préoccupants par l’UNESCO.
Un déficit d’enseignants qui ne date pas d’hier
Les statistiques officielles sont implacables. Avec près de 52 000 élèves supplémentaires inscrits chaque année au primaire, le rythme de recrutement des fonctionnaires n’a jamais suivi la poussée démographique. Résultat : sur les trois mille écoles que compte l’arrière-pays, plus d’un tiers fonctionne grâce à des maîtres dits « communautaires », payés par les associations de parents d’élèves, parfois à raison de 30 000 FCFA mensuels. « Ces jeunes diplômés de terminale ont la bonne volonté, mais ils n’ont reçu aucune formation en didactique disciplinaire », soupire Irène Milongo, inspectrice de proximité à Sibiti. La pandémie de Covid-19 n’a fait qu’exacerber la situation, prolongeant les vacations et multipliant les classes multigrades.
Le pari de la professionnalisation des maîtres communautaires
La phase III d’« Apprendre » entend rompre avec les modules ponctuels proposés les années précédentes. Désormais, il s’agit d’un cursus certifiant de 300 heures, articulé autour de quatre blocs : pédagogie active, évaluation des compétences, inclusion et usages du numérique. « Nous voulons passer d’une logique de recyclage à une logique de parcours professionnalisant, assorti d’un suivi in situ sur douze mois », explique Thierry Diallo, spécialiste en développement des capacités à l’Organisation internationale de la Francophonie. L’innovation réside également dans l’usage d’une plateforme mobile, déjà expérimentée au Bénin, qui permettra aux enseignants isolés de télécharger des scénarios pédagogiques en mode hors-ligne.
Capital humain et dividende démographique : un lien assumé
Au-delà du strict cadre scolaire, le gouvernement voit dans l’initiative un levier macro-économique. Le dernier rapport de la Banque mondiale classe la République du Congo au 138ᵉ rang sur 157 en matière d’indice de capital humain. « Si nous ne transformons pas rapidement nos classes en espaces d’apprentissage efficaces, le dividende démographique restera un slogan », avertit le directeur général de la Planification, Gaston Ngoma. En clair, un jeune trop longtemps maintenu dans l’illettrisme fonctionnel basculera tôt ou tard dans l’économie informelle, avec un impact direct sur la productivité nationale.
Des partenaires internationaux attendus au tournant
Le financement, évalué à 4,8 millions d’euros sur deux ans, proviendra pour moitié du Partenariat mondial pour l’éducation, le reste étant réparti entre l’AFD et le Trésor congolais. Si les bailleurs saluent la clarté des indicateurs, ils n’en demeurent pas moins vigilants. « Nous avons demandé que 60 % des maîtres bénéficiaires soient effectivement suivis en classe, pas seulement formés en atelier », précise une source diplomatique européenne. Les syndicats, eux, réclament l’intégration progressive de ces maîtres au statut de la fonction publique, sous peine de voir s’envoler les compétences fraîchement acquises. Reste à inscrire le dispositif dans la durée : le prochain recensement des enseignants, attendu d’ici à 2025, devra en dresser le premier bilan.
Perspectives d’un virage attendu vers la qualité
Si le calendrier est tenu, les premières cohortes certifiées rejoindront leurs écoles dès la rentrée 2025. L’enjeu est de taille : selon le ministère, améliorer de dix points le taux de maîtrise de la lecture en fin de CE2 pourrait, à long terme, doper de 1,2 % la croissance annuelle du PIB. Les parents d’élèves, eux, restent prudemment optimistes. « Le jour où nos enfants liront couramment en troisième année, on saura que la réforme a porté ses fruits », confie Henriette Loumou, présidente d’un comité scolaire de Ouesso. D’ici là, le « conclave » de Brazzaville aura livré un document dont tout le secteur attend qu’il passe des tablettes de réunion aux pupitres des salles de classe, sans s’égarer dans les couloirs de l’administration.