Un anniversaire sous le signe de la vigilance électorale
Ce dimanche 22 juin 2025, l’esplanade du stade Président-Alphonse-Massamba-Débat vibrait au pas cadencé des troupes. Si les cérémonies marquant la naissance de la Force publique congolaise sont chaque année très codifiées, le soixante-quatrième millésime a revêtu une tonalité particulière. Les deux ministres régaliens, Charles Richard Mondjo pour la Défense et Raymond Zéphirin Mboulou pour l’Intérieur, ont martelé le même message : la présidentielle de 2026 doit se tenir « dans la paix et la sérénité ». Au-delà de la liturgie militaire, c’est bien l’ombre portée du prochain scrutin qui a plané sur les discours.
Brazzaville, théâtre d’une démonstration de force calibrée
Sous un soleil mordant, la parade a aligné bataillons d’infanterie, détachements mécanisés et unités cynophiles, avant de céder la place à une section de la Police nationale. L’orchestre des armées, cuivres lustrés, a rythmé l’exercice. Les observateurs n’ont pas manqué de noter que les blindés légers et les pick-up dotés de radios numériques portaient encore la poussière des récentes opérations de sécurisation des grands axes routiers. « Nous montrons que nos capacités d’intervention sont pleinement opérationnelles », a glissé, laconique, le général de division Guy Blanchard Okoï, chef d’État-major général, au micro des médias publics.
Seize décorations, autant de messages politiques
Moment clé de la matinée, la remise de décorations à seize agents d’élite s’est apparentée à une mise en scène de la méritocratie militaire. L’insigne accrochée sur chaque poitrine était aussi un signal adressé aux troupes : loyauté et discipline restent la boussole à l’approche d’un rendez-vous électoral souvent scruté par les chancelleries. « Servir avec honneur et dévouement n’est pas un slogan, c’est notre contrat moral », a résumé le ministre Mondjo, rappelant le sacrifice des pionniers depuis 1961. Le rappel historique, insistait-il, ne doit pas masquer l’urgence : prévenir toute dérive sécuritaire liée à la compétition politique.
Vers une armée intégrée et interopérable
Derrière la solennité du défilé, le discours gouvernemental a déroulé une feuille de route ambitieuse. Le ministère de la Défense promet l’intégration totale des trois composantes – armée, gendarmerie, police – afin de mutualiser moyens humains et logistiques. La réforme repose sur un triptyque : cartographie unifiée du territoire, plateforme numérique de commandement et intensification des exercices conjoints avec les forces d’Afrique centrale. Un colonel de la Direction de la planification stratégique confie que « le principal défi reste la compatibilité des systèmes de communication, condition sine qua non pour une réaction rapide en période électorale ». Les partenaires étrangers, notamment la Mission européenne de conseil, seraient sollicités pour un audit technique dès janvier prochain.
2026, test grandeur nature du lien armée-nation
Les expériences de 2002 et 2016 l’ont montré : l’acceptation des résultats repose largement sur la perception d’une neutralité irréprochable des forces de sécurité. Conscient de cet enjeu, le général Gervais Akouangué, commandant de la Gendarmerie nationale, plaide pour « un maillage de proximité qui rassure sans intimider ». Le concept, inspiré des gendarmeries de type latin, consisterait à déployer de petites unités mixtes dans les quartiers sensibles de Brazzaville, mais aussi dans les chefs-lieux de département. Les organisations de la société civile, régulièrement invitées aux sessions de sensibilisation, y voient un progrès relatif. « Tout dépendra de la chaîne de commandement le jour J », modère Laetitia Mvouba, juriste au Réseau Congolais de Veille Citoyenne.
Modernisation et mémoire, les deux faces d’un même sabre
Le soixante-quatrième anniversaire aura donc célébré autant le passé que l’avenir. Les autorités ont entretenu le souvenir des anciens tout en projetant l’institution dans l’ère de la cybersécurité et des opérations multilatérales. Les FAC comptent déjà plus de 600 casques bleus déployés au Soudan du Sud et en Centrafrique, vitrine d’un savoir-faire qu’elles entendent capitaliser pour sécuriser leur propre processus électoral. En filigrane, le chef de l’État-major insiste sur l’enjeu budgétaire : « Moderniser sans creuser le déficit implique une allocation intelligente des ressources. » Alors que la loi de finances 2026 sera discutée à l’Assemblée en octobre, la question des crédits militaires pourrait susciter de vifs débats.
Une promesse d’urnes tranquilles, sous haute surveillance citoyenne
Au sortir de la célébration, l’opinion brazzavilloise retient surtout l’engagement solennel d’un scrutin pacifié. Dans les bars du Plateau et les campus de Talangaï, les discussions oscillent entre confiance et scepticisme. Si nombre de jeunes saluent la professionnalisation de la Force publique, d’autres redoutent les arrestations préventives observées lors de précédentes échéances. La coordination des confessions religieuses, par la voix de l’abbé Serge Kalla, appelle à « un encadrement qui protège l’expression populaire au lieu de l’endiguer ». L’armée, qui se rêve médiatrice silencieuse du jeu démocratique, saura-t-elle conjuguer ordre et ouverture ? Le compte à rebours vers 2026 commence, et avec lui un examen grandeur nature de la maturité institutionnelle congolaise.