Un raz-de-marée de croyants dans le 8ᵉ arrondissement
Peu avant l’aube, la petite artère menant à l’église de Madibou s’est muée en couloir humain où s’alignaient taxis collectifs, mototaxis et fidèles marchant d’un pas résolu. Les agents de la mairie, épaulés par des jeunes bénévoles, régulaient un trafic devenu inhabituellement dense pour un samedi matin. Selon le comité d’organisation, 1300 personnes ont rejoint le temple, un chiffre qui, sans atteindre le record des grandes croisades évangéliques, reste exceptionnel pour une paroisse de périphérie. La scène illustre la vigueur d’un christianisme urbain congolais capable de s’agréger autour d’événements ponctuels, à mi-chemin entre la liturgie classique et le concert populaire.
Trois jours de formation pour « Ouvriers avec Dieu »
Le culte clôturait en réalité un séminaire de formation théologique et motivationnelle débuté le 19 juin à l’église Bétherca. Sous le thème générique « Ouvrier avec Dieu », les ateliers ont combiné lectures bibliques, discussion de cas pastoraux et sessions de coaching inspirées des méthodes nord-américaines de leadership. Le révérend Jean-Baptiste Milandou, coordonnateur des Assemblées Chrétiennes pour Brazzaville, justifie la démarche ainsi : « Nous devons doter nos fidèles de compétences spirituelles, certes, mais aussi d’aptitudes à gérer les réalités sociales contemporaines. » Derrière cette rhétorique se cache une stratégie d’extension de la présence ecclésiale dans un paysage religieux brazzavillois désormais concurrentiel.
Le credo de la persévérance prêché par le pasteur Bitsambila
Principal orateur, le pasteur Bernard Dadier Bitsambila a bâti son homélie sur 2 Timothée 4:7, verset souvent cité lors des ordinations ou des jubilés. Dans un phrasé mesuré, il a rappelé que « Dieu ne nous appelle pas pour abandonner en chemin, mais pour aller jusqu’au bout ». Pour cet ancien comptable reconverti à la théologie, la persévérance se décline en six conditions : révélation claire de l’appel, intimité spirituelle, gouvernance du cœur, réseau relationnel édifiant, refus des distractions et vision à long terme. « Ce n’est pas le départ qui honore Dieu, mais l’achèvement », a-t-il insisté, déclenchant des salves d’applaudissements et quelques youyous empruntés au registre festif kongo.
Jeunesse brazzavilloise : quête de repères et désir d’utilité
Dans l’assemblée, plus de la moitié des participants avait moins de 35 ans, reflet d’une démographie urbaine où la jeunesse cherche non seulement un refuge spirituel mais aussi une plateforme d’expression communautaire. « Je viens pour apprendre à gérer mes projets et ma foi », confie Kelly, 24 ans, étudiante en logistique. Le sociologue Colette Mabiala, de l’Université Marien-Ngouabi, observe que ces séminaires « remplacent partiellement les cadres associatifs traditionnels, en offrant discours motivationnel, réseau d’entraide et visibilité sociale à des jeunes souvent précarisés ». L’Église devient ainsi un vecteur d’empowerment, à la frontière du religieux et du civique.
Les Assemblées Chrétiennes, acteur discret mais influent
Nées dans la mouvance pentecôtiste, les Assemblées Chrétiennes revendiquent aujourd’hui près de 200 000 membres sur l’ensemble du territoire congolais, d’après un rapport interne consulté par notre rédaction. Leur modèle d’organisation — cellule locale, district, région — se veut souple, permettant la multiplication rapide des communautés de quartier. À Brazzaville, la densité urbaine et la mobilité des habitants favorisent l’émergence de temples modulaires, souvent bâtis en matériaux semi-durs, susceptibles d’être agrandis pour accueillir des rassemblements comme celui de Madibou. Le mouvement reste pourtant moins médiatisé que certaines mégaparoisses charismatiques, préférant la diplomatie des petits pas à la surenchère spectaculaire.
Impact économique et logistique d’un culte géant
Au-delà de la ferveur, la tenue d’un culte de 1300 personnes implique des enjeux logistiques considérables : location de chapiteaux annexes, renforcement du système de sonorisation, sécurisation des abords, mobilisation d’unités sanitaires mobiles. Le budget, financé par les contributions volontaires et quelques sponsors discrets, s’élèverait à près de 12 millions de francs CFA, selon le trésorier paroissial. Autre retombée, l’économie informelle y trouve son compte : vente d’eau fraîche, restauration rapide, reproductions de versets encadrés et t-shirts flanqués du slogan « Ouvrier avec Dieu ». Les riverains, partagés entre satisfaction et nuisances sonores, reconnaissent néanmoins que « les grandes assemblées font tourner les petits commerces », pour reprendre les mots d’un boutiquier du marché Mfilou.
Entre ferveur et responsabilité citoyenne
À l’issue du culte, le pasteur Milandou a exhorté l’assistance à « exporter la fidélité hors des murs de l’église, jusque dans les salles de classe, les entreprises, les administrations ». Le propos fait écho aux appels répétés des autorités municipales à un civisme renouvelé, notamment sur les questions de salubrité et de sécurité routière. Pour la sociologue Mabiala, « si les Églises veulent être crédibles, elles doivent traduire la ferveur en actions sociales tangibles ». Le défi est donc lancé : maintenir la dynamique spirituelle tout en pesant sur l’amélioration du quotidien urbain.
Prolongements possibles et interrogations
Les dirigeants des Assemblées Chrétiennes envisagent déjà une seconde édition du séminaire, assortie cette fois d’un forum de l’emploi et d’une campagne de dépistage de l’hypertension. Ces ambitions témoignent d’une volonté d’inscrire l’action religieuse dans un horizon plus large que la seule liturgie. Reste toutefois la question de la durabilité : comment conserver l’élan après l’euphorie d’un rassemblement ? Pour nombre de participants, la réponse passe par la création de groupes de suivi, tandis que pour certains observateurs, elle dépendra surtout de la capacité de l’Église à dialoguer avec les institutions publiques. Entre promesse de transformation individuelle et quête de légitimité sociale, le culte géant de Madibou ouvre un chantier qui dépasse largement les frontières du sacré.