Un label né pour restaurer la confiance
Il y a exactement sept ans, le 8 novembre 2017, l’Association technique internationale des bois tropicaux, sous l’égide de l’Agence française de développement et de la Commission des forêts d’Afrique centrale, dévoilait la marque ombrelle Fair & Precious. L’annonce intervenait dans un climat marqué par la défiance des consommateurs européens, lassés d’entendre que leur table basse ou leur parquet provenaient d’abattages illégaux. L’objectif était donc clair : prouver qu’un commerce de bois tropical respectueux des écosystèmes et des populations riveraines peut exister, à condition de le placer sous le regard d’un tiers certificateur.
Des critères exigeants en théorie, soumis à l’épreuve du terrain
Le référentiel Fair & Precious repose sur dix piliers qui englobent la biodiversité, les droits sociaux et la performance économique. En pratique, seules les concessions forestières déjà certifiées FSC ou engagées dans un calendrier de conversion peuvent afficher le logo. La directrice communication de l’ATIBT, Nathalie Bouville, rappelle souvent que « sur une parcelle, l’exploitant légal ne prélève qu’un à deux arbres par hectare tous les vingt-cinq ans », manière de dissiper l’image persistante d’une tronçonneuse sans frein. Pourtant, plusieurs ONG réitèrent leurs doutes quant à la robustesse des contrôles indépendants et à la transparence des audits, surtout dans les zones reculées où la présence de l’administration demeure sporadique.
Une lente adhésion des industriels régionaux
Dans le bassin du Congo, cinq millions d’hectares seulement arborent le label FSC sur plus de deux cents millions de surface forestière exploitable. Les pionniers, tels que Rougier et Precious Woods, soulignent le coût élevé de la certification : formation des équipes, cartographie fine, suivi satellitaire et audits annuels grèvent les marges déjà serrées d’un secteur soumis aux fluctuations du marché. « Si nous renonçons, des acteurs moins scrupuleux prendront notre place ou laisseront libre cours à des monocultures de rente », avertissait récemment Stéphane Glannaz, directeur commercial de Precious Woods, lors d’un forum sectoriel à Libreville.
Le rôle ambigu des autorités et des bailleurs
Aux yeux des observateurs, le succès du label dépend aussi de l’attitude des gouvernements riverains. Les cadres juridiques ont gagné en rigueur depuis l’introduction des plans d’aménagement obligatoires, mais la tentation demeure forte d’attribuer une concession au plus offrant, sans toujours intégrer des clauses environnementales contraignantes. Les bailleurs, eux, oscillent entre exigences strictes et soutien financier. L’AFD, par exemple, a injecté plusieurs millions d’euros dans l’accompagnement technique, tout en réclamant des garanties de bonne gouvernance. Cette tension permanente illustre la complexité du compromis entre souveraineté économique et préservation d’un patrimoine forestier considéré comme un bien commun mondial.
Une fenêtre d’opportunité dictée par les marchés européens
À Bruxelles, le nouveau règlement européen sur la déforestation importée, qui entrera pleinement en application en 2025, impose une traçabilité jusque-là inédite pour le bois, le cacao ou encore le soja. Cette contrainte pourrait se révéler salvatrice pour Fair & Precious, en créant une prime de marché pour les opérateurs capables de prouver l’origine légale et durable de leurs billes d’okoumé ou de sipo. Des études menées par l’Observatoire des forêts d’Afrique centrale suggèrent déjà une hausse de 12 % des commandes certifiées sur le premier semestre 2024, portée notamment par les distributeurs français et néerlandais.
Perspectives 2030 : entre scepticisme et nécessité
La prochaine étape, selon l’ATIBT, consiste à rendre publiques la totalité des rapports d’audit et à associer systématiquement des ONG locales à l’élaboration des plans d’aménagement. Faute de quoi la marque resterait perçue comme un simple outil marketing. Les industriels, de leur côté, réclament un mécanisme d’incitation fiscale pour compenser les surcoûts, sous peine de voir les investisseurs se tourner vers l’agro-business à rotation rapide. Dans ce contexte, le label Fair & Precious n’est ni un échec ni un triomphe ; il représente plutôt un champ de bataille où se joue, discrètement mais sûrement, l’avenir du couvert forestier d’Afrique centrale. La réponse définitive viendra peut-être moins des logotypes apposés sur les colis de bois que de la capacité des États, des entreprises et des citoyens – y compris ceux de Brazzaville – à considérer la forêt non comme un grenier inépuisable, mais comme un capital vivant, irremplaçable et fragile.