Brazzaville redécouvre l’urgence climatique dans la canopée congolaise
Sous les platanes de la corniche, la capitale congolaise a bruissé pendant deux jours d’un vocabulaire technique rarement entendu hors des amphithéâtres universitaires : REDD+, APV/FLEGT, code agricole rural. Le forum multi-acteurs sur les initiatives climatiques et la gestion durable des forêts, copiloté par l’Observatoire congolais des droits de l’Homme et Rencontre pour la paix et les droits de l’Homme, a réuni moins d’une quarantaine de participants, mais la densité des échanges a compensé la modestie du nombre. Chercheurs, exploitants, juristes, représentants autochtones et fonctionnaires ont partagé diagnostics et frustrations autour d’une question désormais existentielle pour le Congo : comment tirer parti de ses 22 millions d’hectares de forêts sans compromettre la stabilité climatique et la cohésion sociale.
Un microcosme pluraliste pour une gouvernance verte en chantier
La particularité de la rencontre fut de mêler, à la même table ronde, négociants en grumes et chefs de villages riverains. « Nous n’avons rien contre l’industrie, mais nous refusons d’être les oubliés des bilans comptables », a martelé Babila Massengo, porte-parole d’une communauté pygmée de la Sangha. Ce regard de terrain a répondu aux analyses plus abstraites formulées par des économistes, à commencer par Dr Henri Mboungou, qui rappelle que le secteur forestier représente près de 6 % du PIB mais absorbe, à force de détaxations, une part disproportionnée des incitations gouvernementales. De telles dissonances ont souligné la nécessité d’arbitrages publics clairs, d’où la recommandation phare : accélérer l’adoption du projet de loi sur la faune sauvage et les aires protégées.
L’arsenal juridique, entre ambitions affichées et inertie administrative
Dans les couloirs du forum, le mot « révision » revenait tel un refrain. Le règlement forestier de 2000, les textes miniers de 2005 ou encore la grille de légalité APV/FLEGT ont vieilli plus vite que les concessionnaires n’ont planté d’arbres. Selon Jean-Claude Mavouadi, ingénieur au ministère de l’Économie forestière, « l’enjeu n’est pas de créer en permanence de nouvelles normes mais de faire respecter celles qui existent déjà ». Pourtant, la pratique montre que, sans textes d’application précis, les meilleures lois restent lettre morte. C’est pourquoi les participants ont insisté sur une codification agricole inclusive, afin de clarifier les usages fonciers et réduire les conflits chroniques entre exploitants et agriculteurs de subsistance.
Concessions forestières : le crépuscule de l’opacité ?
La question des concessions concentre toutes les tensions. Dans la Likouala ou la Cuvette-Ouest, des kilomètres de pistes rouges témoignent de coupes sélectives parfois réalisées au mépris des plans de gestion. Pour Romuald Nganga, juriste environnemental, la clé réside dans l’opérationnalisation de cadres de concertation locaux, prévus sur le papier depuis 2014. Ces organes paritaires permettraient de contrôler en temps réel la légalité des volumes extraits, le respect des clauses sociales et la redistribution des taxes communales. Soutenu par le gouvernement britannique et FERN, le projet « Consolider la bonne gouvernance, lutter contre les inégalités » entend financer la mise en réseau numérique de ces comités villageois afin de combler le déficit de transparence.
Vers une économie de la canopée, inclusive et résiliente
La tonalité finale du forum est demeurée résolument pragmatique. Chacun a conscience que le bois restera, pour les prochaines décennies, un levier essentiel de recettes et d’emplois, surtout à l’intérieur du pays. L’enjeu est donc de passer d’une exploitation extensive à une valorisation intensive, fondée sur la transformation locale, l’écotourisme et les paiements pour services écosystémiques. « Si nous continuons à exporter des rondins plutôt que des meubles finis, nous laisserons la valeur ajoutée à l’étranger », a prévenu la cheffe d’entreprise Elodie Loutaya, évoquant la nécessité d’un cluster industriel à Pointe-Noire spécialisé dans le design écoresponsable. Les participants ont salué cette perspective, rappelant qu’elle suppose aussi la protection stricte des puits de carbone que constituent les forêts primaires du Nord.
Entre diplomatie climatique et réalités locales, le vert s’ancre dans le droit
À l’heure de la clôture, une question plane : les recommandations survivront-elles au prochain remaniement ministériel ? Selon plusieurs observateurs, la conjoncture plaide pour une offensive normative rapide : le Congo prépare son rapport à la COP28 et cherche des financements innovants sur les marchés carbone. Pour rassurer bailleurs et investisseurs, une signature présidentielle sur la loi faune-aires protégées avant la fin de l’année serait un signal fort. Reste l’épreuve du terrain : sans moyens humains pour les brigades forestières, ni dispositifs d’indemnisation pour les communautés affectées, la loi pourrait se réduire à un trompe-l’œil. La balle est désormais dans le camp du législateur, mais aussi de chaque citoyen, appelé à transformer la forêt d’objet de rente en patrimoine commun. Dans ce bras de fer silencieux, le forum de Brazzaville aura au moins fixé la boussole et rappelé que l’économie de demain se jouera à l’ombre des grands arbres.