Un sport russe fait irruption sur les bords du fleuve Congo
Le 24 juin, dans l’enceinte feutrée du Centre culturel russe de Brazzaville, le public a découvert une discipline encore confidentielle : le mas-wrestling. Entre les motifs brodés des châles sibériens, les caméras braquées et l’odeur de résine qui émanait d’un bâton de démonstration, Jarny Varnel Kimpedi, 27 ans, a pris la parole. Il n’a pas seulement exhibé la médaille de bronze arrachée au championnat du monde 2022 des moins de 60 kg ; il a surtout déroulé une vision ambitieuse : faire de la capitale congolaise un nouveau foyer de cette lutte yakoute où la stratégie se dispute à la force brute.
L’itinéraire académique et musculaire d’un jeune ambitieux
Inscrit en master à l’Université d’État d’Oufa, en République du Bachkortostan, l’étudiant-athlète jongle depuis quatre ans entre séminaires de géopolitique énergétique et séances d’hyper-extension. « Les amphithéâtres m’entraînent l’esprit, la salle me forge le caractère », résume-t-il avec un aplomb qui rappelle les aphorismes de Nelson Mandela. Son curriculum est éloquent : champion universitaire de Russie, plusieurs podiums continentaux et une place dans le Top 5 mondial. La directrice du Centre, Maria Fakhrutdinova, n’a pas ménagé ses éloges, soulignant « la valeur diplomatique du sport lorsqu’il bâtit des passerelles entre deux jeunesses en quête d’accomplissement ».
De la toundra aux Tropiques, les racines d’une lutte ancestrale
Aux confins glacés de la Yakoutie, le mas-wrestling est né dans les campements de chasseurs éleveurs, où l’on testait la résistance des tendons autour d’un bâton de bouleau long de cinquante centimètres. Deux adversaires s’assoient, plantes des pieds contre une planche et tirent de toutes leurs fibres jusqu’à faire rompre l’équilibre de l’autre. La Fédération internationale, créée en 2012, codifie désormais des catégories de poids, un arbitrage vidéo et des plateaux télévisés. Pourtant, la magie opère toujours : rien n’a été ajouté ni retiré à l’épure d’origine, sinon les décibels des commentateurs et la promesse de médailles.
Diplomatie sportive et stratégie d’implantation locale
Avant de s’envoler pour le septième championnat du monde organisé en Mongolie fin juillet, Kimpedi entend structurer à Brazzaville une Association congolaise de mas-wrestling en partenariat avec le Centre africain de la discipline. Les démarches administratives sont en cours auprès du ministère des Sports, séduit par la perspective d’un sport à la fois peu coûteux en équipement et fort en visibilité. Des salles de musculation des quartiers de Mfilou aux cours d’école de Poto-Poto, des démonstrations publiques sont programmées pour attiser la curiosité. « Je veux transmettre ce que j’ai appris en Russie ; le bâton devient une craie qui écrit un nouveau chapitre pour nos jeunes », insiste le champion.
Quel horizon pour la jeunesse brazzavilloise ?
Dans une ville où le football et le basket monopolisent l’affichage, l’arrivée d’une discipline de niche intrigue autant qu’elle questionne. Les sociologues du sport rappellent que les pratiques de force ont souvent servi d’ascenseur social dans les métropoles africaines, surtout lorsqu’elles valorisent la discipline individuelle et la visibilité internationale. Pour le nutritionniste Étienne Nziengui, « le mas-wrestling peut détourner les jeunes des stéroïdes de contrebande en leur fournissant un cadre fédéral et des contrôles anti-dopage modernes ». Les observateurs restent toutefois prudents : la création de clubs, la formation d’arbitres et la sécurisation de financements privés demeurent des chantiers exigeants dans un contexte budgétaire contraint.
Un bâton pour lever les barrières, une poignée pour unir les peuples
À l’issue de la conférence, le public a tenté l’épreuve mythique, jambes tendues, mains serrées sur le bâton. Cris, rires et quelques ampoules ont scellé l’expérience. On ne sait pas encore si le mas-wrestling percera durablement dans les ruelles sablonneuses de Talangaï, mais la démarche de Kimpedi révèle une constante : la jeunesse congolaise guette des récits d’ascension qui lui ressemblent. Si l’Association voit le jour et qu’un championnat national s’esquisse, Brazzaville pourrait bien devenir l’une des plaques tournantes africaines d’une discipline où la victoire se mesure à la fois en newtons et en volonté. Le champion, lui, se dit déjà « prêt à tenir le bâton pour que d’autres y impriment leurs rêves ».