Brazzaville, théâtre d’un atelier sous tension citoyenne
Sous le plafond d’un hôtel discret du centre-ville, une cinquantaine de responsables d’associations congolaises se sont réunis, fin juin, pour dresser un constat sans fard de leurs difficultés. L’initiative, portée par l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH) et l’ONG internationale Acted avec l’appui de l’Union européenne, visait à consolider les compétences de ces organisations tout en imaginant des mécanismes de survie dans un environnement perçu comme de plus en plus hostile. L’atmosphère studieuse n’a pas masqué l’inquiétude diffuse : restrictions administratives, suspicion politique et tarissement des financements dominent désormais leur quotidien.
Récépissés en suspens et méfiance institutionnelle
Au cœur des échanges revient la question du récépissé d’enregistrement, précieux sésame attestant de l’existence légale d’une association. « Certaines structures patientent depuis trois ans sans réponse de la préfecture », soupire un responsable d’ONG originaire de Pointe-Noire. Les participants dénoncent un filtre administratif devenu, selon eux, un outil de contrôle politique. La non-délivrance de l’attestation « neutralise de facto le droit d’expression collective garanti par la Constitution », analyse un juriste présent. Le rejet systématique des demandes de manifestations publiques, justifié le plus souvent par des impératifs d’ordre public, nourrit un climat de méfiance qui décourage l’engagement des bénévoles.
La fin de la manne américaine : un trou d’air financier
Si l’asphyxie administrative perturbe le fonctionnement quotidien, la suspension récente de l’aide publique américaine a porté un coup direct à la trésorerie des ONG. Jusqu’ici, les programmes de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) finançaient des ateliers, des missions de terrain et des campagnes de sensibilisation. « Nos budgets ont été divisés par deux du jour au lendemain », confie la coordinatrice d’une association de lutte contre les violences basées sur le genre. La dépendance structurelle à ces fonds révèle la fragilité d’un tissu associatif encore jeune, dont les ressources domestiques, qu’elles proviennent du mécénat local ou des cotisations, demeurent marginales.
Entre plaidoyer et synergie, l’art difficile de la résilience
L’atelier de Brazzaville n’a pourtant pas sombré dans la plainte solitaire. Sous l’impulsion de Nina Cynthia Kiyindou Yombo, directrice exécutive de l’OCDH, les participants ont établi une feuille de route visant à professionnaliser leurs actions de plaidoyer, renforcer les collectifs thématiques et mutualiser les ressources. « Nous devons parler d’une seule voix lorsque les principes de l’État de droit sont menacés », insiste-t-elle. Le réseautage, longtemps perçu comme un exercice de façade pour bailleurs internationaux, est désormais envisagé comme une nécessité interne, un moyen de défendre plus efficacement les défenseurs des droits humains et d’alerter sur les détentions arbitraires.
Femmes leaders et nouvelles priorités sociales
Au-delà des questions institutionnelles, l’atelier a mis en lumière la montée en puissance du leadership féminin. Les organisations de la Likouala et du Pool ont présenté des initiatives pilotes destinées à prévenir les violences basées sur le genre et à promouvoir l’autonomie économique des femmes rurales. « La crise de financement nous pousse à innover, à chercher des partenariats locaux, voire à lancer des activités génératrices de revenus », explique une participante du département du Pool. Cette inflexion répond à la fois à l’urgence sociale et au désir de prouver, chiffres à l’appui, la pertinence du travail associatif.
Le regard de l’État : entre suspicion et besoin de relais
Interrogés discrètement, plusieurs fonctionnaires du ministère de l’Intérieur concèdent que l’administration redoute parfois « l’instrumentalisation politique » de certaines associations. Pourtant, reconnaissent-ils, la société civile demeure un relais essentiel dans les zones où l’État manque de bras. La difficile cohabitation repose sur un paradoxe : l’autorité publique a besoin des ONG pour démultiplier les services sociaux, mais craint leur capacité de mobilisation. Faute de cadre de dialogue institutionnalisé, méfiance et incompréhensions s’accumulent.
Vers un contrat de confiance ?
À l’issue des trois jours de travaux, les participants ont adopté une déclaration commune appelant à la création d’un mécanisme officiel de délivrance rapide des récépissés, à la protection judiciaire des militants menacés et à la réactivation urgente des partenariats financiers internationaux. « Il ne s’agit pas d’implorer l’extérieur, prévient un responsable associatif, mais de séduire à nouveau des bailleurs qui demandent transparence, résultats et gouvernance interne solide. » Cette exigence, loin d’être théorique, conditionne l’avenir d’un secteur associatif que les jeunes urbains de Brazzaville observent avec un mélange d’espoir et d’impatience.
Une génération urbaine entre scepticisme et attente
Dans les cafés du Plateau des 15 Ans ou sur les réseaux sociaux, les étudiants et jeunes actifs de la capitale commentent l’actualité associative avec distance. Ils saluent les campagnes de sensibilisation contre les violences policières ou les initiatives de nettoyage des quartiers, mais déplorent l’absence de résultats tangibles sur la vie quotidienne. « Nous entendons souvent parler de projets, rarement de leur impact », regrette Christelle, étudiante en communication. Pour conquérir cette audience critique, les ONG savent qu’elles devront davantage documenter leur action et exploiter les outils numériques de suivi-évaluation.
Au-delà de l’atelier, un défi de long terme
Le séminaire de Brazzaville aura donc posé les jalons d’une riposte collective face aux turbulences financières et politiques. Reste à traduire ces engagements dans la durée. Les associations devront composer avec un environnement réglementaire incertain, convaincre des bailleurs plus frileux, et surtout rallier une opinion publique avide de résultats concrets. La scène civile congolaise, riche de ses contradictions et de son énergie, se trouve à la croisée des chemins : il lui faut inventer un modèle d’action moins dépendant des providences étrangères et plus enraciné dans le tissu social local. À défaut, le « second souffle » tant recherché risque de se disperser avant même d’avoir porté ses promesses.