Brazzaville se prépare à une déferlante chromatique
Rares sont les manifestations culturelles capables de fédérer, le temps d’une journée, un public aussi hétérogène que celui attendu le 19 juillet 2025 au parc de la basilique Sainte-Anne. Annoncé par la mairie de Brazzaville comme « la plus vaste célébration artistique populaire depuis le centenaire de la ville » (service municipal de la culture), le Festival de couleur mise sur l’ampleur visuelle et sonore pour capter l’imaginaire urbain. À en croire les premières estimations, près de 25 000 visiteurs pourraient converger vers le plateau de Ouenzé, signe que la demande d’événements gratuits, festifs et familiaux demeure forte dans la capitale congolaise.
Un manifeste artistique enraciné dans la ville
En coulisse, les organisateurs revendiquent une approche militante de la création. « Nous voulons que les murs parlent lingala, qu’ils racontent l’histoire des quartiers et des diasporas », résume la commissaire générale, Sandra Mabiala. L’édition 2025 s’inscrit ainsi dans la lignée d’une tradition brazzavilloise de l’art‐citoyen, héritée des fresques murales de Bacongo et des happenings urbains du collectif RasElArt. Derrière la dimension festive, il s’agit d’affirmer la place de la capitale comme pôle culturel d’Afrique centrale, capable de rivaliser avec Kinshasa ou Douala sur le terrain de l’innovation créative.
Scénographie évolutive et participation citoyenne
Dès huit heures, une scénographie modulable investira la pelouse, conçue pour évoluer au fil de la journée. L’équipe architecturale de l’Atelier Nzolani a opté pour des structures en bambou local et toiles recyclées, faisant écho aux impératifs environnementaux portés par la municipalité. Les visiteurs ne seront pas de simples spectateurs : fresques participatives, chorales éphémères et séances d’improvisation slam inviteront chacun à déposer une trace. L’enjeu, insiste le sociologue Florent Ossété, est de « transformer le consommateur culturel en acteur du récit collectif », un défi constant dans les métropoles africaines où les espaces publics demeurent souvent sous-exploités.
Artisans et créateurs locaux au cœur des échanges
Au centre du parc, un marché créatif regroupera une soixantaine de stands, sélectionnés pour leur engagement écologique et leur ancrage territorial. Tissu manjak revisité, objets design à base de fibres de bananier, cosmétique naturelle née des huiles de palme rouges : chaque pièce racontera une histoire brazzavilloise, parfois méconnue des touristes. Selon la Chambre de commerce de Brazzaville, ces micro-entrepreneurs génèrent déjà près de 120 emplois directs à l’année ; l’événement représente pour eux une vitrine décisive vers un public international.
Les familles, nouveaux acteurs de l’espace public
Conçu à hauteur d’enfant, le programme ludique multipliera les passerelles entre apprentissage et divertissement. Ateliers de masques kongo, initiation au beat-box, parcours de motricité inspiré des contes téké : autant de dispositifs pensés pour favoriser le dialogue intergénérationnel. Pour la pédagogue Mireille Tchibota, invitée à superviser ces ateliers, « l’accès précoce à la culture décomplexe le rapport à la citoyenneté et renforce la cohésion sociale ».
Gastronomie congolaise, trait d’union des sens
Au-delà du regard, la fête sollicite le goût. Les effluves d’un saka-saka relevé au piment vert se mêleront à ceux du manioc frit et du poulet mouambé réinventé façon street-food. Une dizaine de chefs, emmenés par le très médiatisé Brel Ngoma, proposeront un répertoire où la tradition culinaire dialogue avec les tendances végétariennes et sans gluten, répondant aux attentes d’une jeunesse brazzavilloise toujours plus attentive à la santé et aux influences globales.
Cinéma sous les étoiles, épilogue d’une journée totale
Lorsque le soleil cédera la place au firmament, un écran géant surgira au-dessus des herbes. Le film retenu, encore tenu secret par la production, traitera de l’identité urbaine et des migrations intérieures, conformément au fil rouge de l’édition. Cette projection nocturne, accompagnée d’un orchestre live, prolongera la sensation de communion collective dans une atmosphère feutrée où les bruits de la ville se feront écho discret des dialogues à l’écran.
Un enjeu stratégique pour l’image de la capitale
Au-delà de la journée de liesse, pouvoirs publics et mécènes privés perçoivent déjà le festival comme un outil diplomatique. Le ministère de la Culture, partenaire principal, mise sur le soft power pour attirer investisseurs et touristes, dans un contexte post-pandémie marqué par la recherche de nouveaux moteurs économiques. L’antenne congolaise de l’Institut français confirme la présence de programmateurs venant d’Abidjan et de Paris, soucieux d’identifier les talents de demain. Dans une ville où le chômage des moins de 35 ans dépasse 28 %, chaque opportunité de monétiser la créativité est scrutée avec espoir. Reste à savoir si l’étincelle populaire se convertira en politiques pérennes en faveur des arts, ou si le festival demeurera une parenthèse enchantée. En tout état de cause, Brazzaville, l’espace d’un jour, aura prouvé que la couleur peut être un instrument de cohésion autant qu’un levier de développement.