Genèse d’une candidature congolaise à haute valeur symbolique
Lorsque le ministre congolais des Finances, Rigobert Andely, a soumis en mars dernier la candidature de Brazzaville pour accueillir les Assemblées annuelles 2026 de la Banque africaine de développement (BAD), le geste n’avait rien d’anodin. Il s’agissait de repositionner la République du Congo sur la carte des places financières africaines, neuf ans après la signature des accords de rééchelonnement de la dette avec le Club de Paris. La visite, du 23 au 26 juin 2025, d’une délégation de haut niveau conduite par l’administratrice générale adjointe de la BAD, Angèle Katsongo, marque l’étape cruciale de cette ambition. En coulisses, les diplomates congolais parlent d’un « test de crédibilité » pour la capitale, souvent cantonnée à un rôle de spectatrice dans les grandes négociations régionales.
Un ballet diplomatique à fortes implications économiques
Dès son arrivée, la délégation s’est entretenue avec le Premier ministre Anatole Collinet Makosso avant de rencontrer les responsables de la Chambre de commerce, l’Union européenne et le corps diplomatique. Les discussions ont porté sur la capacité hôtelière – trois mille chambres seraient nécessaires –, la sécurité aéroportuaire ainsi que la connectivité numérique jugée « perfectible ». Selon une source proche du protocole d’État, la BAD table sur quarante-huit chefs d’État, deux mille délégués et une armada de journalistes internationaux. Le ministre Andely affirme que « Brazzaville dispose déjà de 65 % des infrastructures requises » (Ministère des Finances, communiqué 24 juin 2025). Reste à consolider les 35 % restants en onze mois, un calendrier que les experts de la Banque jugent serré mais « atteignable avec une volonté politique ferme ».
Infrastructures et financements : ce que la BAD est venue mesurer
Le véritable enjeu réside moins dans les salles de conférence que dans la fiabilité des réseaux d’eau et d’électricité. En 2024, Brazzaville a connu 119 interruptions de service selon l’Observatoire congolais de l’énergie. Or, la BAD exige une alimentation continue afin d’éviter tout incident diplomatique. La délégation a donc inspecté la Centrale du Congo River Power, encore en phase de test, dont la mise en service est prévue pour février 2026. Parallèlement, des pourparlers avancés évoquent une ligne de crédit concessionnelle de 52 millions de dollars pour renforcer le réseau de transport urbain. Cette injection devrait financer l’acquisition de trente autobus à propulsion électrique et la réhabilitation de l’avenue des Trois-Martyrs, axe névralgique entre l’aéroport Maya-Maya et le Palais des Congrès.
Entre attentes citoyennes et prudence gouvernementale
Dans les rues de Poto-Poto, la perspective d’un afflux de visiteurs suscite autant d’espoirs que de craintes. Les hôteliers anticipent un taux d’occupation record, tandis que les artisans du marché Total redoutent une inflation passagère sur les loyers. « On ne veut pas d’un événement vitrine qui ignore la réalité des habitants », prévient la sociologue Marlyse Louamba de l’Université Marien-Ngouabi. Le gouvernement, lui, promet des retombées à long terme : modernisation des voiries, création d’emplois temporaires et revalorisation de l’image du pays. Mais l’opposition parlementaire rappelle que les assemblées annuelles de la BAD à Malabo en 2019 avaient laissé une facture non soldée d’environ 18 % du budget initial, pointant le risque d’endettement supplémentaire.
Quelles retombées possibles pour l’Afrique centrale ?
Au-delà des frontières congolaises, la tenue des assemblées à Brazzaville serait un signal fort pour l’ensemble de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Le président de la Commission, Gilberto da Piedade Veríssimo, y voit « une opportunité de relancer l’agenda de l’intégration sous-régionale, notamment le corridor routier Pointe-Noire–Douala ». Pour la BAD, faire escale sur la rive droite du fleuve Congo reviendrait à rééquilibrer l’attention portée aux régions défavorisées par rapport aux locomotives que sont le Nigeria et l’Égypte. Si la candidature est confirmée en septembre prochain à Abidjan, Brazzaville entrerait dans le cercle restreint des capitales africaines ayant accueilli l’institution, à l’instar de Kigali ou Charm el-Cheikh. Les observateurs estiment qu’un succès logistique renforcerait la voix du Congo dans les futures négociations sur le Fonds pour la résilience climatique.
L’heure des arbitrages approche
La mission d’évaluation clôturée, la BAD présentera un rapport détaillé au conseil d’administration courant juillet. D’ici là, le gouvernement congolais doit démontrer sa capacité à mobiliser le secteur privé, sécuriser le financement complémentaire et finaliser le plan de circulation urbaine pendant l’événement. Le Porte-parole du gouvernement l’admet : « Nous jouons une partie d’échecs où chaque mouvement compte ». Pour les jeunes urbains brazzavillois, habitués à naviguer entre ambitions nationales et contraintes quotidiennes, l’exercice servira de révélateur : soit la ville se hisse au rang de carrefour économique, soit elle se heurte aux limites structurelles de son modèle de développement. Le verdict définitif tombera en septembre, mais déjà le chronomètre diplomatique tourne, implacable.