Tenor, phénomène camerounais attendu au bord du fleuve Congo
À 25 ans, Tenor s’impose comme l’une des figures les plus prolifiques de la trap francophone. Repéré en 2016 grâce au morceau « Do Le Dab », l’artiste originaire de Yaoundé a depuis aligné collaborations et récompenses dans plusieurs capitales d’Afrique centrale. Son premier rendez-vous avec le public brazzavillois, prévu ce samedi sur l’esplanade du Palais des congrès, suscite un enthousiasme rarement observé depuis la dernière édition du Fespam (Les Dépêches de Brazzaville). Les fans, mobilisés sur TikTok et Instagram, annoncent déjà un déplacement de masse en provenance des quartiers périphériques de Talangaï à Ngoyo.
Le montage technique : sonorisation XXL et défi énergétique
Le promoteur local, la société Strong Sound Events, a fait venir de Douala une régie de 60 000 watts et un mur LED de 70 m², du jamais-vu pour un concert payant hors période de festival. « Nous travaillons avec la SNE pour stabiliser le courant et avons prévu trois groupes électrogènes Cummins de secours », explique son directeur, Prince Bateki. L’entreprise assure avoir investi près de 120 millions de francs CFA dans le dispositif lumière et dans la sécurisation du backstage afin de répondre aux standards de la tournée « Haut Niveau ». Les techniciens locaux y voient une occasion de monter en compétence sur les consoles numériques DiGiCo récemment réceptionnées par la radio-télévision nationale.
Retombées économiques espérées pour les micro-entreprises urbaines
Au-delà du spectacle, la municipalité table sur une manne indirecte pour le tissu informel. Selon la Chambre de commerce de Brazzaville, un concert de cette ampleur peut générer jusqu’à 300 emplois temporaires dans la vente ambulante, le transport urbain et la sécurité privée. « Chaque food-truck devrait écouler 400 portions, c’est un chiffre supérieur à celui d’un match des Diables rouges », estime Françoise Koumba, économiste culturelle. Les hôtels des Plateaux ont enregistré un taux de réservation de 78 % pour la nuit de samedi, conséquence d’une arrivée attendue de spectateurs en provenance de Kinshasa, séduits par la proximité fluviale et par les packages bateau-concert proposés à 35 dollars.
Sécurité et santé publique : vigilance dans un contexte sensible
Le commissariat central prévoit le déploiement de 350 agents, dont un escadron cynophile, pour filtrer les accès et prévenir les débordements. « Nous voulons éviter les mouvements de foule qui ont endeuillé d’autres rendez-vous urbains en Afrique centrale », rappelle le commissaire-divisionnaire Florent Mavinga. La Croix-Rouge, appuyée par Médecins d’Afrique, installera trois postes de secours. Les organisateurs ont interdit l’introduction de boissons en bouteilles de verre, une première à Brazzaville. L’éventualité d’une flambée de cas de Covid-19 reste surveillée ; un stand de vaccination mobile, discret mais bien présent, sera positionné près de l’entrée principale, à l’invitation du ministère de la Santé.
Diplomatie culturelle et soft power sous-régional
La venue d’un artiste camerounais de premier plan est célébrée par les chancelleries comme un signal de détente après les récentes tensions commerciales entre Yaoundé et Brazzaville. « La scène, c’est aussi un baromètre politique », confie un diplomate de la CEEAC sous couvert d’anonymat. Le ministre congolais de la Culture, Dieudonné Moyongo, présentera en marge du concert le nouveau Fonds d’appui à la création musicale, doté de 500 millions de francs CFA, afin de « susciter des circulations d’artistes et d’idées à l’échelle de la sous-région ». Le discours devrait insister sur la future loi du statut de l’artiste, attendue par les syndicats depuis plus d’une décennie.
Une scène brazzavilloise en quête de reconnaissance internationale
Si Tenor concentre la lumière, la première partie sera assurée par Kôba laD, Koba Stone et la jeune chanteuse Mariusca Moukengue, visages de la nouvelle vague urbaine congolaise. « Nous voulons prouver que Brazzaville n’est pas qu’une escale logistique mais un véritable berceau de talents », insiste la productrice locale Karine Ngoma. Depuis trois ans, la capitale voit fleurir les open mics et les ateliers d’écriture, souvent soutenus par l’Institut français. La visibilité accordée samedi aux artistes autochtones devrait renforcer leur exposition numérique, dans un marché où le streaming reste encore marginal comparé à Douala ou Abidjan.
Un test grandeur nature pour l’industrie du spectacle congolaise
Le concert de Tenor est perçu par les professionnels comme une répétition générale avant la relance officielle du Fespam en 2025. « Si nous parvenons à livrer un show sans faille, les tourneurs internationaux reviendront », affirme Jean-Serge Mabiala, directeur artistique du festival panafricain. Le marché local, encore fragile, dépendra de la capacité à conjuguer billetterie physique et mobile money, à fiabiliser l’éclairage public et à consolider la formation des régisseurs. Autant de paramètres qui définissent l’avenir d’un secteur culturel stratégique, où se croisent enjeux identitaires, impératifs économiques et aspirations de toute une génération.