Conflits de terres et flou juridique, toile de fond d’une réforme attendue
Dans la périphérie de Brazzaville comme dans les départements forestiers, les litiges fonciers se sont imposés ces dernières années comme un révélateur des tensions entre modernité juridique et pratiques ancestrales. L’absence de cadastre exhaustif, la superposition de titres administratifs et de droits d’usage hérités des clans et chefferies alimentent une zone grise qui profite parfois aux spéculateurs. Selon la Commission nationale de réforme foncière, plus d’un dossier sur deux examiné en 2023 concernait une contestation opposant une collectivité autochtone à un investisseur privé. Cette insécurité latente handicape l’aménagement du territoire et fragilise la cohésion sociale, le foncier demeurant un marqueur identitaire majeur au Congo.
Une coalition d’ONG pour construire un texte légitime et applicable
Face à cette urgence, l’Observatoire congolais des droits de l’homme, le Forest Peoples Programme et une dizaine d’associations régionales ont pris l’initiative d’un atelier de concertation ouvert le 26 juin dans la capitale. Leur objectif déclaré est de consolider un paquet de recommandations à intégrer au futur décret gouvernemental sur la sécurisation des droits fonciers coutumiers. « Nous voulons un texte qui parle autant aux juristes qu’aux chefs traditionnels », confiait à la presse Trésor Nzila, directeur exécutif de l’OCDH, à l’ouverture des travaux. Les organisateurs insistent sur la méthodologie : les propositions s’appuient sur des enquêtes de terrain menées dans la Lékoumou, la Sangha mais aussi dans les faubourgs de la capitale, là où les frictions avec les promoteurs immobiliers se multiplient.
Articuler normes internationales et réalités locales, un exercice d’équilibriste
Le futur décret devra se conformer à la fois à la Constitution congolaise, qui reconnaît la propriété collective ancestrale, et aux instruments internationaux ratifiés par Brazzaville tels que la Convention 169 de l’Organisation internationale du Travail. Or, la terminologie onusienne parle de « peuples autochtones », notion juridiquement sensible dans un pays où l’unité nationale prime dans le discours officiel. Les juristes réunis à Brazzaville s’efforcent donc de traduire les standards internationaux en prescriptions administrativement opérationnelles : cartographie participative des forêts communautaires, procédures de consentement libre, préalable et éclairé, ou encore modalités de compensation en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique.
La parole aux communautés : témoignages et attentes exprimées
Pour la première fois dans un processus législatif de cette ampleur, des représentants Baka et Twa de la Sangha ont été invités à intervenir non comme figurants mais comme parties prenantes. « Nous voulons que nos chemins de chasse ne soient plus effacés des cartes officielles », martèle Élodie Mokele, porte-parole d’un collectif féminin de la Lékoumou. Les délégués insistent sur l’importance de sécuriser non seulement les terroirs d’habitation mais aussi les ressources spirituelles – rivières rituelles, clairières sacrées – souvent ignorées par les schémas d’aménagement. Cette parole, recueillie par les chercheurs de l’Université Marien-Ngouabi dès 2022, est venue nourrir une base de données qualitative aujourd’hui versée aux travaux de l’atelier.
Pressions économiques et calculs politiques autour de la réforme
La refonte du cadre foncier se déroule dans un contexte de relance de l’exploitation minière et de l’agro-industrie, secteurs friands de concessions étendues. Plusieurs opérateurs redoutent qu’un renforcement des droits coutumiers complique l’accès aux terres, tandis que la société civile défend l’idée d’un développement inclusif. Au ministère des Affaires foncières, on admet, off the record, la nécessité d’un compromis capable de préserver les investissements tout en donnant des garanties juridiques aux populations. La sensibilité du dossier est d’autant plus forte que 2026 verra l’organisation de nouvelles élections législatives : le gouvernement cherche à éviter un débat trop clivant, tout en affichant auprès des bailleurs internationaux une volonté de réforme.
Une gouvernance foncière rénovée, clé d’un avenir plus pacifié
À l’issue de l’atelier, un document de synthèse sera remis au comité interministériel chargé de rédiger le décret définitif. Les ONG espèrent que leurs propositions ne resteront pas lettre morte, à l’instar de précédents rapports rangés dans les tiroirs de l’administration. Pour Pierre Mabiala, juriste indépendant, la crédibilité du processus dépendra de la mise en place d’un mécanisme indépendant de suivi post-adoption. Au-delà de la technicité juridique, la réforme questionne le modèle de développement national : la protection des droits fonciers coutumiers est désormais perçue comme un levier de stabilité sociale, de préservation des forêts et de diversification économique. Brazzaville, qui ambitionne de jouer un rôle pivot dans les négociations climatiques régionales, pourrait y gagner un argument supplémentaire.
Perspectives et vigilance citoyenne
La société civile congolaisse, forte d’une expérience acquise dans la lutte pour la transparence forestière, se dit prête à maintenir la pression afin que le texte final reflète l’esprit des discussions actuelles. Dans les couloirs de l’hôtel de conférence, un militant glisse : « Nos terres sont notre identité, pas un simple facteur de production ». Ni slogan ni posture, mais la traduction d’une conviction qui transcende les clivages politiques. Reste à savoir si le futur décret saura transformer cette conviction en garanties palpables pour les milliers de familles que le cadastre n’a jamais correctement nommées. Le pari d’une gouvernance foncière apaisée est à ce prix.