Une célébration polyphonique dans la capitale congolaise
Au soir du 21 juin, Brazzaville s’est transformée en vaste caisse de résonance où se mêlaient chants bantous, riffs de guitares urbaines et slogans reggae. Cette 43ᵉ édition de la Fête internationale de la musique, inscrite dans le paysage sonore mondial depuis 1982, avait choisi pour axe la valorisation des musiques traditionnelles. Le ministère congolais de la Culture, relayé par un réseau associatif particulièrement actif, a multiplié les scènes gratuites dans les arrondissements centraux comme Poto-Poto et Moungali, mais aussi dans les quartiers périphériques longtemps laissés à distance des grands événements artistiques.
Brazzaville comme laboratoire vivant des musiques d’héritage
La programmation, conçue pour échapper au seul folklore, a opposé en miroir la profondeur des percussions Kongo et la virtuosité électrifiée du ndombolo moderne. En privilégiant des formations telles qu’Elembe, Okongo ou Oyela, l’intention était d’exhiber la vitalité d’un patrimoine souvent menacé par la normalisation commerciale. « Nos rythmes racontent des législations orales, pas seulement des divertissements », a rappelé Aurélien Mampassi Dzoulou, chef du chœur Vocal Lali, soulignant la fonction sociale d’une musique qui ordonne encore, dans de nombreux villages, les saisons agricoles et les rites de passage.
L’hôtel Protea, nouveau carrefour des sonorités urbaines
Si les scènes historiques de la place de la Gare ou du Mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza demeuraient pleines, le véritable événement résidait dans l’émergence d’un plateau inédit : l’esplanade de l’hôtel Protea, à Mafouta, dans le huitième arrondissement Madibou. L’initiative de l’entrepreneur culturel Lilian Ndenguet a déplacé le centre de gravité festif vers le sud de la ville, offrant une acoustique professionnelle à des artistes longtemps confinés aux podiums de fortune. Les rastafari, fraîchement réunis pour l’anniversaire de Bob Marley, y ont croisé Les Diable-Noirs musica de Tys le Feu Noir dans un duel amical qui a fait oublier les frontières stylistiques.
Le regard des artistes : pédagogie, catharsis et fierté identitaire
La parole des musiciens, captée à chaud, converge vers la même conclusion : la musique reste un outil civique. « Elle édifie, elle égaye, elle éduque », confie Diazayone des Lions conquérants de la tribu Kongo. Son confrère Tys le Feu Noir renchérit : « C’était une guerre musicale, mais dans la joie ». Au-delà des formules, l’assertion traduit un besoin de catharsis collective dans une conjoncture marquée par des tensions socio-économiques. Que la Fête de la musique propose, ne serait-ce qu’une nuit, un espace de cohésion et de dialogue interculturel, constitue un capital symbolique dont les artistes revendiquent la part d’initiative.
Aux origines d’un rituel planétaire
Instituée en 1982 par Jack Lang et Maurice Fleuret, la Fête de la musique répondait à l’ambition de « faire descendre la culture dans la rue » (Ministère français de la Culture). Quarante-trois ans plus tard, plus de cent dix pays l’ont adoptée, du Québec à la Corée du Sud. À Brazzaville, l’édition 2024 démontre que la décentralisation de la manifestation reste possible, à condition d’appuyer les relais locaux. L’effort logistique s’appuie désormais sur des partenariats public-privé, condition que beaucoup estiment indispensable pour garantir la gratuité et la diversité.
Perspectives : la tradition comme moteur d’innovation
En clôture de la soirée, un slam mêlant lingala, vili et français a rappelé que la créativité trouve sa source dans l’hybridation. Les spécialistes de l’ethnomusicologie rappellent que la préservation d’un répertoire ne signifie pas sa momification ; elle suppose au contraire de l’inscrire dans le flux urbain, de l’adapter aux plateformes de streaming et aux circuits touristiques. La réussite de cette édition ‑ affluence inédite sur les sites périphériques, couverture médiatique accrue, retombées économiques mesurables pour les vendeurs ambulants et les taxis ‑ incite les autorités à envisager un agenda pérenne de festivals satellites. La musique traditionnelle, hier cantonnée aux cérémonies villageoises, se révèle ainsi levier d’attractivité dans la compétition culturelle régionale.