Forum multi-acteurs à Brazzaville : vers une gouvernance forestière et minière
Sous les lambris feutrés d’un hôtel du centre-ville, le bruissement des feuilles de palmiers était presque audible tant la question des forêts dominait les débats. Du 23 au 24 juin, l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) et la Rencontre pour la paix et les droits de l’Homme (RPDH) ont réuni environ trente participants issus des ministères, des compagnies d’exploitation, des ONG et des communautés locales. Objectif affiché : établir une plate-forme de dialogue pérenne sur la gestion durable des ressources naturelles. Signe que le sujet dépasse le seul périmètre national, la rencontre était financée par le gouvernement britannique et appuyée par l’ONG européenne Fern, actrice de longue date des négociations APV/FLEGT.
Si le format atelier-panel a parfois les allures convenues des conférences internationales, plusieurs intervenants ont insisté sur la nécessité de sortir du registre déclaratif. « Nous ne pouvons plus multiplier les engagements sans mécanismes de contrôle effectif », a rappelé d’emblée Aristide Mavoungou, directeur de cabinet adjoint au ministère de l’Économie forestière.
Des recommandations qui bousculent la routine législative
À l’issue de deux jours d’échanges, la feuille de route se décline en priorités concrètes. La plus emblématique porte sur l’adoption accélérée du projet de loi relatif à la faune sauvage et aux aires protégées, document en suspens au Parlement depuis près de deux ans. Les ONG demandent que le texte soit amendé en concertation avec les peuples autochtones, afin d’éviter la reproduction des conflits observés dans le parc d’Odzala-Kokoua.
Autre point saillant : la révision des décrets d’application du Code forestier de 2020, jugés « trop vagues pour contraindre les plans d’aménagement » selon la juriste Marlyse Itoua (OCDH). Les participants ont également proposé de créer un véritable Code agricole rural pour clarifier l’usage des terres dans les couloirs de transition entre agriculture vivrière et exploitation industrielle.
Sur le volet minier, la mise à jour de la grille de légalité APV/FLEGT a fait consensus. Plusieurs experts estiment que l’ancienne mouture ne couvre pas suffisamment l’extraction de minerais stratégiques, tels que le coltan ou le lithium, appelés à gagner en importance avec la demande mondiale de batteries.
Le secteur privé, entre impératifs financiers et responsabilité sociétale
Les représentants des sociétés forestières se sont gardés de toute opposition frontale, conscients de l’évolution du marché international. « Nos clients européens exigent une traçabilité sans faille », a concédé le directeur des opérations d’Industrie Bois Congo, tout en soulignant le coût de la conformité. Du côté minier, les opérateurs redoutent de voir se multiplier audits et patrouilles, là où la logistique reste un casse-tête au cœur du massif du Chaillu.
Pourtant, des voix s’élèvent au sein même du patronat pour anticiper le virage ESG. Le conseiller RSE d’une importante société chinoise, rencontré en marge du forum, estime que « le financement international va rapidement se tarir pour les entreprises incapables de prouver leur impact positif ». L’idée d’un fonds de transition, alimenté par une redevance additionnelle sur le mètre cube de bois exporté ou sur la tonne de minerai, a été évoquée sans être formalisée.
Communautés locales : les gardiennes oubliées des écosystèmes
Au-delà des textes, c’est la question de l’inclusion qui a alimenté les débats les plus vifs. Les chefs des villages Mbendjele et Bomitaba présents à Brazzaville ont décrit la fragilité de leurs droits d’usage ancestral face aux concessions. « Nous découvrons souvent les limites sur une carte après coup », a regretté le porte-parole des communautés autochtones du Sangha, dessinant en creux le besoin d’un cadastre participatif.
Le forum recommande donc l’opérationnalisation immédiate des cadres de concertation internes aux concessions forestières, dispositif déjà prévu sur le papier mais rarement appliqué. L’enjeu est double : prévenir les conflits fonciers et garantir la transmission des savoirs locaux dans les plans d’aménagement. La conseillère environnementale de Fern rappelle que « les données scientifiques gagnent à être croisées avec l’observation in situ des peuples autochtones, véritables sentinelles de la biodiversité ».
Le défi financier de la transition écologique congolaise
Si la volonté politique semble se renforcer, la question des moyens reste entière. Dans son dernier rapport sur le climat, la Banque mondiale estime à 320 millions de dollars le besoin annuel pour atteindre les objectifs de réduction des émissions liés à la déforestation entre 2025 et 2030. Or le budget national consacre actuellement moins de 1 % de son enveloppe à l’environnement.
La mobilisation de financements innovants, qu’il s’agisse de marchés carbone volontaire ou d’obligations vertes souveraines, a été évoquée sans susciter de positions unanimes. Les économistes du Centre d’études pour le développement durable soulignent que tout mécanisme financier doit être adossé à une transparence accrue, faute de quoi le pays risquerait un « greenwashing institutionnel » préjudiciable à sa crédibilité internationale.
Perspectives pour la diplomatie climatique de Brazzaville
À huit mois de la prochaine COP, la République du Congo cherche à consolider sa stature de pays-solution au changement climatique. Le forum de Brazzaville renforce ce positionnement en proposant des réformes tangibles, susceptibles d’attirer partenaires techniques et financiers. Reste à transformer l’élan discursif en actions monitorées, avec des indicateurs publics accessibles aux citoyens.
« Nous devons passer d’une logique de signature à une logique de résultats », résume un diplomate du ministère des Affaires étrangères. Les participants ont proposé la création d’un tableau de bord trimestriel publié en ligne, retraçant l’évolution des concessions, l’application des décrets et les bénéfices socio-économiques mesurés dans les villages. Une telle transparence permettrait également au gouvernement de défendre ses positions lors des négociations internationales en justifiant chaque avancée par des données vérifiables.
Pour l’heure, c’est le chronomètre politique qui s’égrène. Les communautés, les investisseurs et le climat n’attendront pas indéfiniment la mise en œuvre de ce grand ménage promis.