Un 5 juin qui fait écho à l’Histoire congolaise
Au Congo, certaines dates résonnent comme des sirènes de rappel. Le 5 juin en fait partie depuis la reprise des hostilités armées de 1997. Vingt-huit ans plus tard, un autre 5 juin arrache à la nation l’un de ses artisans politiques les plus singuliers : Martin M’Beri. Par la coïncidence du calendrier, sa disparition ravive les images d’un passé brûlant que la ville-capitale peine à archiver. Dans l’immédiateté de l’annonce, réseaux sociaux et radios communautaires ont aussitôt dressé un parallèle entre ces deux jeudis qui, chacun à sa manière, redessinent la cartographie émotionnelle de Brazzaville.
D’un parcours diplomatique à la quête de consensus
Formé à la diplomatie dès les années 1970, le futur ministre d’État s’emploie d’abord à porter la voix du Congo dans les organisations sous-régionales. Sa nomination, en 2014, au secrétariat permanent du Dialogue national couronne le parcours d’un homme réputé pour son entregent discret et sa fidélité aux mécanismes de médiation plutôt qu’aux joutes parlementaires bruyantes (Archives du ministère des Affaires étrangères). Sans grande emphase médiatique, il multiplie alors ateliers, consultations de terrain et visites dans les départements afin de recenser les attentes citoyennes, notamment celles d’une jeunesse souvent confinée aux marges du jeu institutionnel.
Le pragmatisme d’un nationaliste
En coulisses, témoins et collaborateurs décrivent un dirigeant plus soucieux d’obtenir un accord viable que de théoriser la nation. « Avec lui, le mot projet n’avait de valeur que lorsqu’il débouchait sur une feuille de route datée », confie un ancien conseiller qui requiert l’anonymat. On lui attribue la paternité d’une formule devenue proverbiale au sein du secrétariat : « Le consensus, ce n’est pas la victoire de l’un, c’est la fatigue de tous. » Loin d’y voir une résignation, Martin M’Beri célébrait la lucidité d’une société qui reconnaît ses lignes de fracture pour mieux les refermer.
Un Dialogue national toujours en suspens
Peu avant son hospitalisation, l’ancien ministre d’État plaidait encore pour la convocation d’une nouvelle séquence de dialogue avant la présidentielle de 2026, convaincu que la consolidation de la paix exigeait d’interrompre le cycle électoral pour privilégier la réconciliation (Radio Congo, entretien du 12 mai 2025). Ses partisans y ont vu l’ultime chapitre d’une doctrine : stabiliser d’abord, voter ensuite. Ses détracteurs, eux, redoutaient qu’un tel forum ne serve de marchepied à des ambitions dissimulées. La polémique reste vive, mais le vide laissé par Martin M’Beri oblige désormais chaque camp à préciser ses contours programmatiques.
La jeunesse brazzavilloise face à l’héritage
Dans le quartier Makélékélé comme sur les campus de l’université Marien-Ngouabi, l’annonce de la mort du doyen a déclenché une pluie d’interrogations sur la capacité des nouvelles générations à perpétuer une culture du compromis. Pour Élise Mabiala, sociologue des mobilisations urbaines, « la figure de M’Beri rappelle que l’on peut être loyal au pouvoir tout en gardant l’oreille tournée vers la rue ». Plusieurs collectifs étudiants ont ainsi lancé, via les réseaux, un appel à la création d’un observatoire citoyen du Dialogue, initiative que le défunt aurait probablement saluée tant il croyait à la complémentarité entre institutions et société civile.
Entre devoir de mémoire et urgence d’avenir
Au-delà du cérémonial des obsèques officielles, la date du 5 juin interroge la trajectoire d’un pays qui balbutie encore sa concorde civique. Féru de symbologie, Martin M’Beri aimait rappeler que l’Histoire « se répète parfois par inadvertance, jamais par hasard ». Son absence transforme donc la prochaine présidentielle en test de maturité collective : saura-t-on transformer un héritage de dialogue en outil concret de gouvernance ? À l’heure où le Congo s’apprête à franchir le seuil démographique des six millions d’habitants, la réponse dépendra moins des hommages que des actes. De fait, la plus pertinente commémoration serait peut-être d’ouvrir, enfin, ce Dialogue national qu’il appelait de ses vœux, avant qu’un nouveau jeudi ne vienne rappeler les leçons ignorées.