De la rhétorique des synergies à la réalité du terrain à Brazzaville
Dans la grande salle du Centre international de conférences de Brazzaville, les mots ont résonné avec emphase : « synergie », « gagnant-gagnant », « création de valeur ». Face aux bâches soigneusement floquées aux couleurs des deux drapeaux, représentants de la Confindustria, hauts fonctionnaires congolais et investisseurs émerveillés ont célébré, les 26 et 27 mai, ce qu’ils décrivent comme le renouveau de l’axe Congo-Italie. Les précédentes initiatives bilatérales, parfois restées lettre morte, n’ont pas empêché les participants d’aligner les superlatifs. « Le contexte post-pandémie ouvre une fenêtre unique pour diversifier nos économies », a insisté un diplomate transalpin, rappelant que le volume des échanges bilatéraux n’atteignait encore, en 2024, que 180 millions d’euros selon le ministère italien des Affaires étrangères, un chiffre modeste au regard des ambitions affichées.
En coulisse, des chefs d’entreprise brazzavillois haussaient toutefois les sourcils : au-delà de l’élan médiatique, nombre d’accords précédents ont buté sur des réalités logistiques ou administratives. Cette méfiance n’a pas empêché la délégation italienne de présenter un calendrier serré : d’ici à mars 2026, trois missions sectorielles devraient se succéder à Pointe-Noire et Ouesso afin de préciser les enveloppes financières. Un optimisme qui tranche avec les lenteurs qui minent encore l’acheminement d’équipements agricoles de Gênes vers le port autoproclamé « en eau profonde » de la capitale économique congolaise.
L’argument de la formalisation, un passage obligé mais redouté
Au deuxième jour du forum, l’atelier consacré à la formalisation a bousculé l’enthousiasme ambiant. Face à une centaine de jeunes auto-entrepreneurs des arrondissements de Makélékélé et Moungali, les conseillers du Guichet unique de création d’entreprise ont rappelé un fait têtu : sans existence légale, impossible d’accéder aux lignes de crédit promises par la Cassa Depositi e Prestiti ou par la Banque postale du Congo. « Nous finançons des bilans, pas des idées », a tranché un banquier italien, déclenchant un murmure dans l’assistance.
Le paradoxe est connu : plus de 80 % des micro-unités congolaises fonctionnent encore dans l’informel (Banque mondiale). Or, pour devenir éligibles aux appels d’offres conjoints, elles doivent s’enregistrer, produire des états financiers et se soumettre à l’impôt forfaitaire unique. « La formalisation reste synonyme de paperasserie et d’impôts, alors que son bénéfice reste abstrait pour le jeune entrepreneur de Poto-Poto », commente l’économiste Patrick Oba, de l’Université Marien-Ngouabi. Le forum aura eu le mérite de rouvrir ce dossier sensible : le ministère des PME promet d’ici à fin 2025 un accompagnement digital « zéro papier », mais le scepticisme demeure tant les précédentes plateformes en ligne ont souffert de pannes chroniques.
Agro-industrie et énergies vertes, vitrines d’une coopération affichée
De l’avis général, l’agro-industrie constitue la zone de convergences la plus tangible. Les groupes italiens, portés par leur expertise en machinisme et en conditionnement alimentaire, aspirent à sécuriser l’accès à des matières premières tropicales, tandis que Brazzaville voit dans ces partenariats la possibilité de substituer à ses coûteuses importations de produits transformés une production locale à haute valeur ajoutée. Les premières annonces concernent la création, près de Dolisie, d’une unité pilote de transformation de manioc d’une capacité de 20 000 tonnes par an, cofinancée par une joint-venture entre un consortium lombard et la société congolaise Soproco.
Sur le front énergétique, la société italienne Enel Green Power a laissé entendre qu’elle étudiait un projet hybride solaire-biomasse sur la cuvette congolaise, doté d’une puissance de 70 MW. Le dossier, déjà évoqué en 2023 lors du sommet pour le climat de Rome, se heurte toutefois à la faiblesse du réseau de transport national. « L’électricité ne vaut que si elle atteint l’usager », rappelle sobrement un cadre de la Société nationale d’électricité, conscient que les délestages chroniques pourraient refroidir l’appétit d’investisseurs habitués à des seuils de rentabilité précis.
Le numérique, catalyseur ou simple promesse ?
La salle dédiée aux technologies de l’information a, paradoxalement, fait salle comble. Start-up congolaises spécialisées dans la télémédecine, développeurs d’applications de paiement mobile et représentants de sociétés italiennes de cybersécurité ont échangé cartes de visite et éléments de langage. Reste que l’écosystème numérique local pâtit toujours d’une connectivité irrégulière et d’un coût de la data qui figure parmi les plus élevés de la sous-région (Observatoire régional du numérique).
À cette contrainte-clé s’ajoute la question du capital humain : « Nous détectons d’excellentes idées, mais le déficit en profils d’ingénieurs seniors ralentit la scalabilité », déplore Francesca Bianchi, responsable de l’accélérateur milanais Polihub, candidate au financement d’un hub à Talangaï. Le gouvernement congolais affirme vouloir accélérer la formation via le Centre africain des technologies en construction à Kintélé, mais la moitié des budgets votés en 2023 n’ont pas été décaissés, précise un rapport sénatorial rendu public en avril. La promesse numérique, souvent mise en avant dans les grands rendez-vous internationaux, risque ainsi de demeurer une promesse si la chaîne logistique – câbles sous-marins, backbone national, fiscalité – n’est pas consolidée.
Perspectives financières et diplomatiques après le forum
Au terme des deux jours, le communiqué final évoque la signature de protocoles d’accord pour un montant potentiel de 650 millions d’euros. Les analystes rappellent toutefois que, dans la nomenclature diplomatique, un protocole n’équivaut ni à un contrat ferme ni à un décaissement. L’expérience du projet de cimenterie Italo‐Congolaise de Mindouli, restée à l’état de maquette depuis 2018, reste dans toutes les mémoires.
Dans les couloirs du ministère congolais des Finances, on reconnaît sans fard que la matérialisation de ces annonces dépendra de la gouvernance des projets retenus : création d’unités de gestion autonome, audits réguliers, mécanismes d’arbitrage neutres. « La coopération financière se nourrit de confiance », souligne un représentant de la Banque africaine de développement, partenaire technique du forum. Côté italien, on insiste enfin sur la responsabilité sociale des entreprises : clauses sur l’emploi local, transfert de compétences, réduction de l’empreinte carbone. Brazzaville, qui cherche à polir son image d’acteur climatique, n’a pas rejeté ces exigences, tout en rappelant la nécessité de flexibilité face aux réalités d’un marché encore émergent.
En définitive, le Business forum Congo-Italie 2025 laisse derrière lui un mélange de ferveur et de prudence. Les entrepreneurs congolais disposent de nouvelles pistes, à condition de franchir l’obstacle toujours intimidant de la formalisation. Quant aux partenaires italiens, ils doivent composer avec un environnement institutionnel parfois imprévisible. La décennie qui s’ouvre dira si les synergies tant célébrées resteront sur papier glacé ou si elles s’incarneront, enfin, dans les usines, les champs et les serveurs de Brazzaville.