Une troisième édition sous le signe d’un optimisme combatif
À Brazzaville, le calendrier culturel de juillet s’ouvre désormais sur une promesse de déflagration artistique. Tokomi, « Nous sommes arrivés » en lingala, prend en effet la forme d’une déclaration de présence, presque d’occupation symbolique, au cœur de l’Institut français du Congo et de l’école de danse Kundi. Pour Gervais Tomadiatunga, directeur de la Biennale et chorégraphe au parcours largement salué, il s’agit « d’arracher la jeunesse aux renoncements » pour la convier à une célébration décomplexée du vivant. Le thème « Brûlons les regrets » donne le ton : il ne sera plus question d’autocensure ni d’attentisme, mais d’un saut créatif pensé comme remède aux désillusions sociales.
Une géographie des corps entre Brazzaville, Kinshasa et Paris
La cartographie des invités traduit cette ambition transfrontalière. Sur les quelque vingt interprètes annoncés, six viennent de France ou de République démocratique du Congo, rappelant combien le fleuve Congo demeure un corridor esthétique. La Française Stéphanie Chariau, encore marquée par ses immersions chorégraphiques dans les ruelles de Poto-Poto, présentera « Animale », une pièce qui, selon ses propres mots, « a jailli de manière pulsionnelle, comme si le sol congolais commandait au corps de parler ». À l’inverse, le Congolais Mavy Kimvidi – résidant à Kinshasa mais régulièrement accueilli à Brazzaville – propose « Encre », réécriture d’un opus de Tomadiatunga augmenté des fragments vécus « ici et là-bas », double rive oblige.
Formation intensive : parier sur la relève locale
Au-delà du spectacle, Tokomi revendique une dimension pédagogique redevable aux réalités d’une scène congolaise encore fragile économiquement. Depuis le 23 juin, une cinquantaine de jeunes danseurs suit, à huis clos, un entraînement marathon alliant improvisation, analyse du mouvement et dramaturgie. Frédéric Brignot, directeur délégué de l’IFC, rappelle que « l’enjeu n’est pas seulement de donner à voir, mais de renforcer la boîte à outils des artistes afin qu’ils puissent demain exporter leur signature ». Dans un pays où les financements publics destinés à la culture restent rares, la gratuité d’un tel programme est saluée comme un acte militant autant qu’un investissement stratégique.
Une programmation dense, miroir de la ville qui palpite
Chaque soirée se présente comme une variation autour des urgences urbaines : violences de genre, mémoire coloniale, fièvre d’une capitale bouillonnante. L’ouverture, le 1er juillet, superposera « Crèche l’araignée », métaphore d’une maternité étouffée par les toiles d’une cité qui peine à protéger les siens, et « Animale », respiration viscérale d’une Europe qui s’invite en Afrique pour y perdre ses repères. Les débats du 2 juillet sur la programmation et la communication culturelles veulent armer les compagnies locales face aux circuits de diffusion encore largement contrôlés depuis l’étranger. Le 5 juillet, la clôture orchestrée autour de « Élégance de la sape » promet un clin d’œil à la célèbre dandysme congolaise, manière de rappeler que la performance, ici, sait aussi se vêtir de velours et de satire.
Cap sur la sous-région : un festival au service du rayonnement congolais
Si Tokomi ne cache pas ses difficultés budgétaires, le comité d’organisation table sur des partenariats inédits. L’Alliance française de Pointe-Noire a déjà manifesté son intérêt pour accueillir une déclinaison, tandis que le programme « Afrique Créative » envisage un accompagnement technique centré sur la production durable. Tomadiatunga, lucide, souligne néanmoins qu’« un festival ne se nourrit pas que d’enthousiasme ». Il plaide pour une reconnaissance institutionnelle, précisant que « Brazzaville dispose désormais d’une expertise qu’il serait regrettable de laisser s’éteindre faute d’appui structurant ».
Une ouverture gratuite, mais un investissement collectif requis
L’entrée libre constitue l’un des moteurs d’un public jeune souvent réticent à débourser pour de la création contemporaine. Cependant, cette générosité pose la question de la viabilité. Plusieurs mécènes privés congolais, encore frileux à s’associer à l’art de la performance jugé élitiste, observent néanmoins une fréquentation croissante : en 2023, près de 2 000 spectateurs s’étaient pressés à l’IFC. L’édition 2025 ambitionne d’atteindre les 3 000, pari à la fois audacieux et mesuré pour une ville de deux millions d’habitants où l’offre culturelle reste dominée par la musique populaire.
Vers une diplomatie culturelle de la pulsation
Au-delà du spectacle vivant, Tokomi incarne une stratégie de soft power, celle d’une capitale cherchant à repositionner son récit urbain. À écouter les organisateurs, la performance, art de l’instant et de la friction, reflète la contemporanéité d’un Congo tiraillé entre héritages et projections. Dans un contexte régional marqué par la recherche de nouveaux équilibres politiques, cette diplomatie des corps fait écho aux ambitions économiques que nourrit Brazzaville pour ses industries créatives. Ainsi, la Biennale se prend à rêver d’un label « made in Congo » exportable, capable de contrer la centralité de Dakar ou Johannesburg.
Le feu des planches, l’épreuve du temps
Alors que les projecteurs s’apprêtent à se braquer sur les planches, la question demeure : comment inscrire la dynamique dans la durée ? Les réponses se trouvent peut-être moins dans la captation d’un instant que dans la constitution de réseaux pérennes. Tokomi, déjà, agrège des compétences en production vidéo, ingénierie du son et administration culturelle. Autant de métiers encore en pénurie au Congo et sans lesquels la scène performance risque de rester cantonnée à l’événementiel. Le festival se rêve donc en écosystème : une fois la dernière gerbe d’applaudissements retombée, il faudra veiller à ce que les braises continuent de couver.