Une révolution numérique au cœur des campus congolais
À première vue, la salle n’a rien d’un amphithéâtre traditionnel : écrans haute définition, régie vidéo compacte, micros directionnels et murs tapissés de panneaux acoustiques composent désormais le décor quotidien de nombreux étudiants. Inauguré le 27 juin, le laboratoire multimédia de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) constitue l’une des vitrines majeures de la transformation digitale impulsée dans l’enseignement supérieur congolais. « Nous pouvons enregistrer, monter et diffuser un cours dans la même matinée », résume Donjul Tchi Ngoma, responsable du campus numérique de l’AUF-Congo, soulignant une agilité inédite dans un secteur souvent ralenti par la lourdeur des process.
Le dispositif ne se limite pas à un plateau technique. En rendant accessible, sur simple réservation, un studio de production et des logiciels de post-production, l’AUF répond à une double exigence : améliorer la qualité des contenus et réduire les fractures technologiques entre établissements urbains et ceux implantés dans des zones moins desservies. Un pas décisif pour un pays où la jeunesse représente près de 60 % de la population et où la demande de formations hybrides, compatibles avec les contraintes de mobilité, ne cesse de croître.
Des salles de cours à l’ère du streaming éducatif
Concrètement, l’enseignant entre dans le studio, connecte sa clé USB, lance l’enregistrement, et le cours peut être mixé en temps réel : incrustations de diapositives, sous-titres automatisés, insertion d’extraits documentaires, puis export vers les plateformes universitaires. « Il nous fallait un outil capable de produire, en quelques clics, des capsules compatibles avec les contraintes de bande passante locales », insiste Donjul Tchi Ngoma. Les vidéos peuvent être compressées sans sacrifier la résolution, facilitant ainsi l’accès depuis les zones à connectivité modeste.
Le laboratoire apporte également une réponse originale au défi de l’archivage. Les cours filmés sont indexés et rangés dans un nuage sécurisé géré conjointement par l’AUF et la Direction des systèmes d’information du ministère, offrant aux étudiants une bibliothèque vidéo disponible 24 h sur 24. À terme, l’objectif est d’agréger ces contenus dans une base de données paneuropéenne déjà portée par plusieurs antennes de l’AUF, afin de promouvoir la mobilité intellectuelle et les échanges académiques Sud-Sud.
L’État congolais accélère la transformation digitale
Présente lors de l’inauguration, la ministre de l’Enseignement supérieur, le Pr Delphine Édith Emmanuel, a rappelé l’engagement du gouvernement à inscrire l’ensemble des établissements publics dans un même réseau d’information. « La modernisation n’est réelle que si le ministère dispose, en temps réel, des données qui circulent entre les campus », a-t-elle martelé, évoquant la future interconnexion des rectorats et l’automatisation des actes administratifs.
Cette démarche s’inscrit dans la lignée du Programme national de développement numérique 2025, piloté par les autorités centrales, qui entend soutenir l’innovation pédagogique tout en fluidifiant les démarches liées aux bourses, aux inscriptions et aux agréments privés. La digitalisation annoncée de la Direction générale de l’Enseignement supérieur allégera autant les files d’attente que les charges administratives, tout en renforçant la transparence des procédures. Dans un contexte africain où la concurrence universitaire s’intensifie, la République du Congo se positionne ainsi comme un acteur désireux d’offrir un service public plus réactif.
Former les formateurs : un défi stratégique
« Le succès de l’innovation dépendra d’abord des compétences humaines », avertit Sorin Mihai Cimpeanu, président de l’AUF, pour qui la formation continue des enseignants constitue la pierre angulaire du projet. Si le laboratoire met à disposition un arsenal technologique, encore faut-il que les utilisateurs se l’approprient. À cette fin, des ateliers hebdomadaires encadrés par des ingénieurs pédagogiques sont programmés durant toute l’année universitaire.
De son côté, Slim Khalbous, recteur de l’AUF, plaide pour une révision régulière des curricula afin qu’ils suivent la cadence vertigineuse de l’innovation. Il rappelle qu’en cinq ans, l’organisme a implanté vingt-cinq laboratoires similaires dans le monde, dont cinq en Afrique centrale : « La résilience des universités passe par leur capacité à absorber le changement, puis à le convertir en valeur académique ». À Brazzaville, cette philosophie se traduit par un partenariat actif avec les incubateurs locaux, sollicité pour adapter les cours aux réalités du marché congolais.
Un écosystème universitaire appelé à se réinventer
Au-delà du coup de projecteur médiatique, l’enjeu de ce laboratoire est avant tout de décloisonner un espace universitaire parfois perçu comme élitiste. Les experts s’accordent à dire que l’apprentissage hybride, combinant présentiel et distanciel, pourrait réduire le décrochage, notamment chez les étudiants salariés ou parents. Dans un pays où la majorité des foyers se connecte via le mobile, l’accès à un contenu souple est déterminant pour la poursuite d’études.
La nouveauté la plus prometteuse demeure peut-être la possibilité d’exporter le modèle. Plusieurs universités régionales ont déjà exprimé le souhait de reproduire le dispositif, tandis que des start-ups locales se proposent d’accompagner la maintenance logicielle. En fédérant acteurs publics, établissements privés et partenaires internationaux, ce laboratoire pourrait devenir le noyau d’une filière numérique congolaise génératrice d’emplois qualifiés.
Au lendemain de l’inauguration, l’enthousiasme est palpable dans les couloirs du campus numérique, mais la vigilance reste de mise : il faudra garantir la pérennité du financement, assurer la maintenance des équipements et mesurer l’impact réel sur la qualité de l’enseignement. Autant de défis que le gouvernement, les universités et l’AUF s’engagent à relever, portés par une conviction partagée : la réussite académique passe désormais par la maîtrise du numérique.