Le réseau routier, miroir économique d’un pays en mutation
À l’heure où les échanges commerciaux se densifient entre Pointe-Noire, Brazzaville et les capitales voisines, la route demeure l’artère vitale qui irrigue l’économie congolaise. De l’avenue de la Corniche à la Nationale 2, nids-de-poule et ruptures de chaussée rappellent que la valeur d’un kilomètre de bitume se mesure autant en francs CFA qu’en heures de trajet économisées pour les transporteurs et en sécurité pour les usagers. Le ministre de l’Assainissement urbain, du Développement local et de l’Entretien routier, Juste Désiré Mondélé, l’a martelé : « Notre patrimoine routier constitue l’ossature de la compétitivité nationale ». Encore faut-il lui garantir des ressources constantes et une gestion irréprochable.
Un instrument financier stratégique sous le feu des projecteurs
Créé en 2000, le Fonds routier est l’interface budgétaire chargée de transformer les taxes sur les carburants, les péages et les amendes de surcharge en kilomètres réhabilités. Son conseil d’administration réunit représentants de l’État, transporteurs et partenaires sociaux, un dispositif salué par la Banque africaine de développement comme « une bonne pratique de gouvernance inclusive ». Cependant, le rythme des décaissements accuse un retard récurrent face à l’ampleur des besoins, estimés à 140 milliards de F CFA par an selon la Direction générale des infrastructures terrestres.
Mobiliser plus et mieux : la question cruciale des ressources domestiques
Lors de la réunion stratégique de juin, les techniciens ont pointé une élasticité budgétaire limitée. La hausse mondiale du prix des carburants a réduit la marge de taxation sans pénaliser les ménages. Au micro, le directeur général du Fonds routier, Elenga Obat Nzenguet, a plaidé pour « un élargissement de l’assiette contributive, notamment via la relance du contrôle de charge par essieu et l’automatisation des postes de péage ». Une proposition appuyée par l’économiste Nadège Mouanga, pour qui « chaque camion en surcharge qui circule détruit la chaussée plus vite qu’il ne contribue à la réparer ».
Transparence et traçabilité : impératifs d’une jeunesse connectée
La confiance du public dans le circuit financier reste la clé de voûte. Sur les réseaux sociaux, de jeunes blogueurs urbains demandent un accès ouvert aux rapports d’exécution des chantiers. Conscient de ces attentes, le ministère a annoncé le déploiement d’une plateforme numérique de suivi en temps réel des contrats, inspirée du modèle ghanéen. Pour l’ingénieur civil Boris Makosso, ce virage digital « limitera les avenants coûteux et permettra aux citoyens d’observer la progression des travaux, photo géolocalisée à l’appui ».
Innovations techniques et fiscalité verte : vers un entretien plus résilient
Le plan d’urgence de cantonnage lancé début juillet ne se résume pas à un simple balayage du réseau. Il s’accompagne de l’introduction de procédés de recyclage à froid des enrobés, moins gourmands en énergie, ainsi que de la promotion de micro-entreprises locales chargées de l’entretien de proximité. En parallèle, un groupe de travail interministériel étudie la possibilité d’affecter une part de la taxe carbone embryonnaire aux routes dites écologiquement optimisées, afin de concilier objectifs climatiques et besoins d’infrastructures.
Une gouvernance rénovée pour des résultats mesurables
Le président Denis Sassou Nguesso a fixé un cap clair : rendre visibles les retombées des investissements publics. Dans cette perspective, le ministère prévoit de conditionner les décaissements du Fonds routier à des indicateurs précis de performance, tels que la réduction du temps de parcours moyen entre Brazzaville et Ouesso ou le pourcentage de routes rurales praticables en saison des pluies. « Nous devons passer d’une logique de moyens à une logique de résultats », résume Juste Désiré Mondélé, exhortant ingénieurs et financiers à conjuguer professionnalisme et innovation.
La diplomatie de l’asphalte : ambitions régionales et attractivité économique
Au-delà des frontières nationales, un réseau fiable renforce l’intégration de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. La modernisation de la Route 1, couloir Pointe-Noire–Brazzaville–Bangui, soutenue par la CEEAC, devrait dynamiser le commerce sous-régional. Pour le chercheur Paul-André Bikindou, « un fonds routier performant fait gagner des points de crédibilité au pays dans la négociation de partenariats publics-privés ». L’enjeu dépasse donc l’entretien courant : il s’agit de convaincre investisseurs et bailleurs que chaque franc injecté produit un impact durable sur la connectivité et, in fine, sur la croissance inclusive.
Cap sur 2025 : une opportunité de réforme consensuelle
La concertation élargie aux transporteurs, sociétés de pesage et organisations de la société civile ouvre une fenêtre politique favorable. Les conclusions du comité technique, attendues pour le premier trimestre 2025, pourraient déboucher sur une refonte législative du Fonds routier, incluant un plafonnement des frais de fonctionnement, une certification annuelle externe et l’introduction de mécanismes incitatifs pour les entreprises respectant les calendriers contractuels. Autant de leviers destinés à transformer l’automobile congolaise en vecteur de transparence budgétaire et de performance économique.
Des routes entretenues, un horizon élargi pour la jeunesse
En filigrane, c’est bien la mobilité des jeunes Congolais qui se joue. Une chaussée praticable favorise l’accès à l’emploi, désenclave les zones agricoles et stimule le tourisme intérieur naissant. En choisissant de consolider la gouvernance du Fonds routier, les pouvoirs publics parient sur un cercle vertueux où chaque trajectoire professionnelle sera moins entravée par les aléas d’une route endommagée. La modernisation de l’asphalte devient ainsi le reflet tangible d’un État décidé à connecter son potentiel humain à ses ambitions économiques.