Brazzaville et Istanbul, le subtil écho d’un même agenda diplomatique
Dans la touffeur estivale d’Istanbul, la 51ᵉ session du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Organisation de la Coopération islamique (OCI) a fait vibrer un diapason que Brazzaville entend avec attention. Sur les rives du Bosphore, la déclaration finale, adoptée à l’unanimité, a placé la défense d’Al-Qods Acharif au cœur de l’actualité diplomatique du monde musulman. À plusieurs milliers de kilomètres, sur les berges du fleuve Congo, l’évocation d’une ville trois fois sainte n’est pas anodine : elle rappelle la place qu’occupe la question palestinienne dans l’imaginaire politique africain post-Bandung.
Le Comité Al-Qods, un instrument royal célébré par l’OCI
Présidé par le Roi Mohammed VI depuis 1975, le Comité Al-Qods reste l’une des rares instances multilatérales à conserver un mandat clair dans la préservation du caractère historique et religieux de Jérusalem-Est. Les ministres des Affaires étrangères réunis à Istanbul ont, de manière presque chorale, exprimé leur « profonde gratitude » au souverain chérifien pour « ses efforts constants et tangibles » en faveur des lieux saints. Le vocabulaire, volontairement solennel, souligne l’intérêt porté par l’OCI à la médiation marocaine, réputée consensuelle et peu sujette aux éclats de tribune (diplomate koweïtien).
Bayt Mal Al-Qods : diplomatie du concret et économie de proximité
Instrument opérationnel du Comité, l’Agence Bayt Mal Al-Qods Acharif cumule un portefeuille de projets sociaux évalué à plus de 65 millions de dollars depuis sa création. Écoles réhabilitées, dispensaires modernisés, bourses universitaires octroyées aux jeunes Palestiniens : autant d’initiatives qui, selon le dernier rapport présenté à Istanbul, consolident « la ténacité identitaire » des habitants de la Vieille Ville. Le diplomate sénégalais Amadou Ndao y voit « l’illustration d’une diplomatie par les résultats, peu visible mais profondément ancrée dans le quotidien des populations ».
Cette démarche pragmatique contraste avec la volatilité d’un dossier israélo-palestinien souvent réduit aux anathèmes. En finançant le micro-développement, Rabat se positionne dans une logique de soft power assumé, conjuguant symbolique religieuse et injonction socio-économique. Les ministres de l’OCI, conscients de cette mécanique, ont chaudement applaudi la décision d’augmenter les contributions volontaires à l’Agence, signe d’un consensus latent autour de la méthode marocaine.
Leçon de pragmatisme pour l’Afrique centrale
Dans les couloirs feutrés de certaines chancelleries brazzavilloises, l’exemple de Bayt Mal Al-Qods nourrit la réflexion sur la diplomatie de projet. « La leçon est simple : s’appuyer sur des résultats concrets pour crédibiliser un discours de solidarité », confie un haut fonctionnaire congolais ayant requis l’anonymat. Le Congo-Brazzaville, hôte régulier de forums panafricains sur la paix, observe avec intérêt ce modèle susceptible d’inspirer des mécanismes analogues pour la gestion des sites patrimoniaux nationaux, de la Basilique Sainte-Anne aux vestiges de Mâ-Loango.
De surcroît, la réussite d’un instrument spécialisé comme Bayt Mal Al-Qods témoigne de la valeur ajoutée des organisations intergouvernementales lorsqu’elles s’adjoignent une structure agile et financièrement transparente. Pour nombre d’États africains, qui jonglent entre impératifs budgétaires et attentes citoyennes, la matrice marocaine offre des pistes d’ingénierie institutionnelle à la fois réalistes et abordables.
Entre symbolisme et géoéconomie : Al-Qods, un prisme pour l’avenir
Au-delà de l’éloge protocolaire, la session d’Istanbul confirme que la question d’Al-Qods se mue en baromètre de la cohésion islamique. Le texte adopté insiste sur la « coexistence des trois monothéismes » et sur le « statut juridique intangible » de la ville. Dans un Moyen-Orient sous tension, ces formulations, quoique classiques, dessinent une feuille de route qui privilégie la sécurité humaine et la dimension patrimoniale.
Les observateurs notent également la place croissante accordée aux leviers géoéconomiques. L’aide au logement, le soutien à l’artisanat et la restauration des monuments constituent autant de volets aptes à générer des emplois et à réduire la pression sociale, prérequis indispensables à toute avancée politique. En confortant la centralité d’Al-Qods dans l’agenda 2030 de l’OCI, les diplomaties africaines, dont celle de Brazzaville, se dotent d’un narratif commun où développement, culture et paix se répondent.
Pour l’heure, la prudence reste de mise. Si l’enthousiasme affiché à Istanbul pourrait favoriser de nouveaux financements, l’équilibre fragile de la région impose une vigilance permanente. Le Roi Mohammed VI, salué pour sa « sagesse », sait qu’entre déclarations et réalités du terrain, le fossé se comble à force de patience et de constance. C’est précisément cette constance, applaudie par l’OCI, qui confère à la diplomatie marocaine son current appeal et justifie l’intérêt qu’elle suscite auprès des capitales africaines.