La genèse d’un chantier législatif attendu
Sur les rives du fleuve Congo, la question de la terre convoque depuis longtemps une charge symbolique et économique majeure. La lettre d’intention signée avec l’Initiative des forêts d’Afrique centrale, plus connue sous l’acronyme Cafi, a replacé ce thème au rang de priorité étatique, en y subordonnant une partie des financements climatiques. L’élaboration d’un projet de décret consacré aux droits fonciers coutumiers des populations autochtones s’inscrit dès lors dans une dynamique où souveraineté territoriale, obligations internationales et impératifs de développement ne cessent de se répondre.
Une concertation multipartite à Brazzaville
Le 26 juin, la capitale a accueilli un atelier de révision du texte initial, réunissant représentants ministériels, juristes, chefferies traditionnelles et experts internationaux. Lassana Kone, émissaire du Forest People Program, a salué « un moment charnière, bien que le draft souffre encore d’un déficit de clarté dans la gestion de la cohabitation foncière ». Nina Cynthia Kiyindou Yombo, directrice exécutive de l’Observatoire congolais des droits de l’homme, a de son côté précisé qu’« un consensus pragmatique doit émerger avant l’atelier national prévu en juillet », afin d’éviter « l’usure des promesses » souvent reprochée aux processus participatifs.
Le délicat arbitrage entre coutume et droit positif
Dans un pays où l’État détient constitutionnellement le sol et le sous-sol, l’insertion de la coutume dans l’architecture juridique requiert une finesse d’écriture. Les discussions ont porté sur la création de trois niveaux de titres : communautaire, adjacent et individuel. Bernadin Yassine Ngoumba, responsable plaidoyer au Centre d’encadrement communautaire pour le développement, défend la coexistence de ces catégories, estimant qu’« elles reflètent la réalité mouvante des terroirs forestiers ». Reste à concilier ces instruments avec le Code foncier existant, sans multiplier des procédures susceptibles de gripper l’administration et d’alimenter la spéculation.
Sécurité juridique et inclusion des peuples autochtones
Derrière la technicité législative se profile un enjeu humain. Privés de titres officiels, nombre de Mbendjele et de Baka voient leurs terres ancestrales converties en concessions agro-industrielles ou minières sans mécanisme de compensation suffisant. À l’atelier, plusieurs intervenants ont rappelé que l’objectif premier reste l’accès sécurisé aux ressources vivrières, au même titre qu’une participation accrue aux chaînes de valeur locales. Les partenaires économiques évaluent également que la clarté foncière réduit le risque d’investissements litigieux, améliorant l’attractivité de la place congolaise dans un contexte régional concurrentiel.
Un agenda resserré avant l’atelier national de juillet
Les contributeurs disposent désormais de quelques semaines pour intégrer les amendements, traduire le texte en langues locales et consolider l’étude d’impact budgétaire. Selon une source au ministère chargé de la Réforme foncière, le calendrier demeure « tenable », en raison d’une volonté politique affichée de présenter un décret mûr au Conseil des ministres avant la fin de l’année. La coordination Cafi verrait d’un bon œil cette cadence, chaque jalon cochant une condition préalable au décaissement progressif des enveloppes prévues.
Entre prudence et optimisme, Brazzaville fixe le cap
Si la communauté des bailleurs salue un processus jugé inclusif, plusieurs observateurs invitent néanmoins à la vigilance quant à la mise en œuvre sur le terrain. L’expérience montre que la reconnaissance juridique ne suffit pas ; elle doit être doublée d’une administration capable d’arbitrer les litiges avec célérité et transparence. Dans l’esprit des participants, la sécurisation des droits fonciers coutumiers représente moins une fin qu’un socle pour un développement rural plus équitable. À la sortie de l’atelier, l’ambiance était teintée de réalisme serein : oui, la route sera longue, mais un cap vient d’être officiellement fixé dans la cité capitale.