Une médiation multiforme portée par la résolution 2773
Dans une salle feutrée du Department of State, le secrétaire général des Nations unies a rappelé devant la presse internationale la portée normative de la résolution 2773 adoptée en décembre dernier. Ce texte, issu de tractations parfois rugueuses entre membres permanents du Conseil de sécurité, invite la République démocratique du Congo et le Rwanda à un cessez-le-feu « intégral, immédiat et vérifiable ». La déclaration d’Antonio Guterres, prononcée le 27 juin à Washington, ne se limite pas à une injonction protocolaire : elle insiste sur l’obligation de résultat qui découle de la signature, sous caution américaine, du nouvel accord de paix orienté vers la désescalade militaire dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
À travers cette prise de parole publique, le secrétaire général signale que la communauté internationale ne se satisfera plus d’engagements de façade. L’ONU, a-t-il précisé, « demeure engagée, via la MONUSCO, auprès de l’Union africaine et des partenaires régionaux », pour assurer un suivi opérationnel de chaque clause. Autrement dit, l’accord n’est plus un simple parchemin diplomatique, mais un document-cadre susceptible d’activer des mécanismes de pression multilatéraux si les signataires se dérobent.
Les racines du conflit : un Kivu encore meurtri
Depuis la résurgence du M23 fin 2021, les collines volcaniques du Kivu connaissent une volatilité chronique. Les flux de déplacés, estimés à plus de sept millions par l’OIM, témoignent de la profondeur du traumatisme collectif. Kinshasa accuse Kigali de soutenir de longue date la rébellion, ce que ce dernier dément en bloc. Les incursions transfrontalières, les discours enflammés sur les chaînes locales et l’enrôlement forcé de mineurs ont dressé un tableau humanitaire que l’archevêque de Bukavu qualifie de « plaie ouverte au cœur des Grands Lacs ». Au-delà de la rivalité sécuritaire, les enjeux miniers – coltan, étain, or artisanal – alimentent une économie de guerre où l’informel côtoie un commerce transfrontalier protéiforme.
Face à cette complexité, le cessez-le-feu paraît à la fois indispensable et fragile. Un diplomate onusien basé à Goma confie, sous couvert d’anonymat, que « la moindre flambée locale pourrait faire tomber le château de cartes ». L’accord procède donc d’un pari : stabiliser les lignes de front avant de s’attaquer aux causes structurelles, notamment la gouvernance foncière, le partage des revenus miniers et la réintégration des combattants dans le tissu socio-économique.
Washington, Doha et Lomé : une triangulation diplomatique inédite
Le rôle de facilitation assumé par les États-Unis, salué par Antonio Guterres, traduit l’ambition de l’administration Biden de réaffirmer sa visibilité dans une région où la Russie et la Chine accroissent leur empreinte stratégique. L’implication du Qatar, rompu aux médiations discrètes au Moyen-Orient, ajoute un levier financier non négligeable, tandis que la présence du président togolais Faure Gnassingbé, désigné par l’Union africaine, confère une légitimité continentale à la démarche.
Selon une source diplomatique congolaise, « cette triangulation offre à chacun une portion de notoriété, mais place aussi chaque acteur devant ses responsabilités ». Washington fournit la puissance de persuasion, Doha promet un soutien logistique aux programmes de désarmement, et Lomé fait office de courroie de transmission entre capitales africaines souvent méfiantes envers les injonctions extérieures. L’équation demeure délicate : il s’agit d’aligner des calendriers politiques hétérogènes sans heurter les souverainetés nationales.
La MONUSCO en quête d’efficacité renouvelée
Présente depuis 1999 sous diverses appellations, la mission onusienne en RDC fait l’objet de critiques récurrentes quant à sa capacité à protéger les civils. Consciente du scepticisme local, la direction de la MONUSCO a réorganisé ses brigades d’intervention pour les rendre plus mobiles et mieux arrimées aux forces armées congolaises. Antonio Guterres rappelle, non sans prudence, que « la durabilité du cessez-le-feu dépendra d’une coordination tactique soutenue ». En marge de la prise de parole de Washington, un haut responsable militaire de l’ONU confirmait l’arrivée imminente de drones supplémentaires de surveillance et la mise en place d’un mécanisme conjoint de vérification avec Kigali.
Pour les communautés du Rutshuru, l’enjeu est tangible : pouvoir regagner les champs avant la grande saison de semis d’août. La crédibilité de l’organisation internationale, malmenée lors des émeutes anti-MONUSCO de l’an dernier, se joue à nouveau dans cette capacité à offrir des garanties de sécurité rapides et perceptibles.
Brazzaville et la CEEAC : relais discrets d’une stabilité régionale
Si la crise se déroule à l’est du fleuve Congo, elle n’est pas sans répercussion à Brazzaville, siège de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Sous la présidence active de Denis Sassou Nguesso, la diplomatie congolaise plaide depuis plusieurs années pour un dialogue permanent entre États membres afin de prévenir toute contagion sécuritaire. Un conseiller du ministère congolais des Affaires étrangères rappelle que « la libre circulation sur le Corridor Pointe-Noire–Bukavu dépend étroitement d’une pacification durable des rives orientales ».
En juin, lors d’une réunion informelle de la CEEAC, Brazzaville a proposé la création d’un fonds de stabilisation destiné à soutenir les programmes de démobilisation dans la région des Grands Lacs. Cette initiative, encore en discussion, témoigne de la volonté congolaise de contribuer, par la voie multilatérale, à l’architecture de paix régionale sans jamais s’immiscer directement dans le jeu militaire, préservant ainsi sa neutralité et son image de médiateur fiable.
Entre prudence et espoir : quels chemins pour 2025 ?
Les observateurs s’accordent à dire que l’accord de Washington n’est qu’une étape dans un processus marathonien. La tenue d’élections locales en RDC, la préparation de la présidentielle rwandaise de 2024 et la réduction programmée du contingent onusien dessinent un horizon ponctué de risques. Dans ce contexte, le rappel d’Antonio Guterres au respect « scrupuleux » des engagements sonne comme un avertissement serein mais ferme.
Pour les jeunesses urbaines de Kinshasa, Kigali et même Brazzaville, habituées aux interconnexions numériques, la paix ne peut plus se résumer à un alignement de signatures officielles : elle doit produire des dividendes concrets en matière d’emploi, d’infrastructures et de liberté de circulation. La balle est désormais dans le camp des États, placés sous la vigilante mais bienveillante loupe onusienne.