Paris sert la table d’une renaissance symbolique
Le 7 juin 2025, un salon discret du huitième arrondissement de Paris s’est transformé en forum d’idées consacré à Brazzaville. Sous l’impulsion de la Maison de la mémoire africaine, présidée par l’écrivain-chercheur Marcellin Mounzéo-Ngoyo, diplomates, artistes et entrepreneurs ont échangé sur le thème « Brazzaville, la grande capitale oubliée ». L’intitulé, mi-provocateur, mi-révélateur, a rapidement donné le ton : il ne s’agissait pas de ressasser la grandeur révolue de la cité fondée en 1880, mais de lui redonner une place active dans la cartographie des capitales africaines influentes.
En partenariat avec le Corps consulaire de Normandie, la rencontre a réuni Jean-Philippe Carpentier, président dudit corps, Emmanuel Brouiller, consul honoraire du Congo à Rouen, et Armand Rémy Balloud-Tabawe, premier conseiller de l’ambassade du Congo en France. L’assistance, composée également de personnalités des mondes économique et artistique, a rappelé par sa diversité que la destinée d’une ville se joue autant dans les couloirs de la diplomatie que sur les scènes culturelles.
Brazzaville, pivot historique et laboratoire d’avenir
Dans son allocution d’ouverture, Marcellin Mounzéo-Ngoyo a rappelé que Brazzaville fut « la capitale de la France libre » pendant la Seconde Guerre mondiale, un statut qui conféra à la ville une aura internationale sans précédent. « La mémoire n’est pas un refuge du passé, mais un levier pour bâtir l’avenir », a-t-il insisté, estimant que ce patrimoine historique peut devenir un puissant facteur de soft power au service du développement national.
Le chercheur a soutenu que l’histoire coloniale, la Conférence africaine de 1944 puis la période panafricaniste des années 1960 constituent autant de strates capables de nourrir une diplomatie patrimoniale. Dans cette perspective, Brazzaville n’est pas seulement un décor figé ; elle est un creuset où se rencontrent mémoire, modernité urbaine et dynamique régionale, notamment avec la Zone économique spéciale de Maloukou et le corridor fluvial vers Kinshasa.
Un plaidoyer pour une coopération rénovée France–Congo
Jean-Philippe Carpentier a plaidé pour un nouveau narratif bilatéral, estimant que « la coopération ne peut plus se limiter à la gestion de l’héritage, elle doit se transformer en moteur d’innovation urbaine ». Selon lui, Brazzaville dispose d’atouts géostratégiques — quais sur le fleuve Congo, proximité immédiate de Kinshasa, ouverture vers l’Afrique australe — qui justifient une relance ambitieuse des partenariats. Emmanuel Brouiller a, quant à lui, évoqué des jumelages entre agglomérations normandes et quartiers de la capitale congolaise, insistant sur l’échange d’expertises en matière de transition énergétique ou de gestion des déchets.
Pour Armand Rémy Balloud-Tabawe, ces passerelles doivent être consolidées par un environnement juridique attractif. « Une stabilité institutionnelle, déjà saluée par de nombreux bailleurs, garantit la prévisibilité dont les investisseurs ont besoin », a-t-il observé. Tout en rappelant l’engagement des autorités congolaises à promouvoir la diversification économique, il a souligné l’importance d’un accompagnement technique européen pour accélérer l’urbanisation maîtrisée de Brazzaville.
Entrepreneurs et diaspora, forces motrices de l’innovation
Le segment économique de la soirée a mis en lumière une diaspora congolaise de plus en plus structurée. Brian Huffret Bazebifoua, spécialiste des énergies renouvelables, a détaillé des projets de mini-centrales solaires adaptées aux contraintes climatiques de la cuvette congolaise. Patrick Banakissa, pour sa part, a évoqué la diplomatie économique comme vecteur d’accès aux financements verts internationaux. Leurs interventions convergent vers une même idée : Brazzaville peut devenir une plateforme de services énergétiques pour l’Afrique centrale si elle fédère sa diaspora et ses partenaires historiques.
Les participants ont rappelé qu’au-delà des discours, des instruments existent déjà. La Banque de développement des États de l’Afrique centrale soutient des programmes urbains, tandis que l’Agence française de développement accompagne des initiatives dans l’assainissement et la mobilité. Relier ces dispositifs aux talents de la diaspora apparaît comme un accélérateur de projets.
La diplomatie culturelle, levier d’attractivité urbaine
À la faveur d’un dîner mêlant subtilités de la gastronomie française et saveurs congolaises — tranche de capitaine fumé, saka-saka revisité, macaron au bissap —, la culture a joué son rôle rassembleur. Le baryton du Vatican Raoul Gamez a livré un Negro spiritual en lingala, suivi du chanteur-danseur Jhey Marini et de l’artiste rasta Mad Pluma. Kila Mbongo, voix historique de l’orchestre Extra-Musica, a conclu la partie musicale, rappelant que la rumba, classée au patrimoine immatériel de l’UNESCO, demeure l’une des cartes de visite majeures de la capitale.
Selon Marcellin Mounzéo-Ngoyo, institutionnaliser ce dialogue artistique pourrait prendre la forme d’un festival annuel « Brazzaville, capitale-mémoire » associant musées, universités et collectivités locales. L’ambition est double : attirer un tourisme culturel à haute valeur ajoutée et réaffirmer la vocation cosmopolite de la ville.
Perspectives concrètes et défis à relever
Si l’optimisme dominait les échanges, plusieurs défis ont été identifiés. L’état des infrastructures demeure perfectible, notamment dans les transports urbains et l’accès à l’eau potable. De même, la nécessité de formations adaptées aux nouveaux métiers de la ville durable a été soulignée. Les participants estiment toutefois que la création d’un guichet unique pour la diaspora et les investisseurs étrangers, couplée à un calendrier d’événements culturels réguliers, constituerait une réponse pragmatique.
Au terme de la soirée, un comité informel a été mis sur pied pour rédiger, d’ici la fin de l’année, une feuille de route articulant mémoire historique, innovation économique et rayonnement culturel. En coulisses, certains diplomates évoquent déjà l’idée d’une conférence internationale à Brazzaville en 2026. L’objectif affiché est clair : transformer la capitale congolaise en laboratoire d’expérimentation urbaine, fidèle à son passé de carrefour stratégique tout en s’inscrivant dans les exigences d’une mondialisation plus durable et inclusive.