Une église symbole face à la montée des eaux
Dans la nuit du 13 au 14 juin, la pluie diluvienne qui a balayé Brazzaville a transformé une fois encore la cour de la paroisse Saint-Augustin, située dans le sixième arrondissement, en un vaste miroir d’eau. Les vagues brunes jaillies du lit de la Tsiemé ont englouti la grotte mariale ainsi que l’autel extérieur, contraignant les prêtres à suspendre les activités liturgiques du week-end. Aux premières lueurs de l’aube, l’église, symbole de stabilité spirituelle, offrait le spectacle paradoxal d’une arche assiégée par son propre environnement.
La Tsiemé, un micro-bassin au cœur des défis urbains
La rivière Tsiemé, modeste cours d’eau saisonnier, charrie néanmoins une charge hydrique conséquente dès que les nuages s’éternisent. Son lit étroit, soumis à l’urbanisation rapide des rives, se voit souvent obstrué par des dépôts solides et des remblais informels. Selon les relevés du Laboratoire d’hydrologie de l’Université Marien-Ngouabi, le débit de pointe a pratiquement doublé en deux décennies, tandis que la capacité d’évacuation est restée quasi inchangée. Les spécialistes décrivent un bassin versant « où chaque millimètre de pluie se convertit en ruissellement, faute de sols perméables ».
Impact social et spirituel d’un cycle d’inondations
Le dimanche 15 juin n’a pas échappé à la règle des perturbations : la profession de foi de plusieurs fidèles a dû être reportée d’une semaine. « Nous avons baptisé vingt-trois nouveaux chrétiens dans l’eau stagnante, littéralement », sourit avec diplomatie le père Dieudonné Mabiala, tout en confiant que le presbytère a été évacué depuis trois ans. Les prêtres vivent dans une maison louée en amont, signe tangible que l’aléa s’est mué en quotidienneté. À chaque crue, les riverains improvisent des passerelles de fortune, les enfants pataugent pour atteindre l’école, et les étals du marché voisin ferment prématurément, amputant les revenus des ménages.
Actions publiques et partenaires techniques à l’œuvre
Conscient de la pression exercée par cet épicentre symbolique, le gouvernement congolais a inscrit la requalification du bassin de la Tsiemé dans son Plan national de développement 2022-2026. Un accord de financement scellé avec l’Agence française de développement, d’un montant de 18 millions d’euros, prévoit le recalibrage du lit, la construction de digues végétalisées et la mise en place d’aires de rétention temporaire. « Les études d’impact environnemental sont achevées, nous entrons dans la phase de validation technique », précise une source au ministère de l’Aménagement, soulignant que les appels d’offres internationaux devraient être lancés avant la saison humide prochaine.
L’indemnisation, paramètre sensible mais indispensable
Derrière la démarche technique se cache un volet humain complexe. Plus de 320 ménages sont concernés par les mesures d’expropriation nécessaires au redressement du tracé fluvial. La commission mixte chargée de l’évaluation foncière a déjà procédé à 87 % des enquêtes parcellaires, selon le dernier rapport transmis à la préfecture de Brazzaville. Si certains habitants saluent une « opportunité de repartir sur des bases saines », d’autres redoutent que les indemnisations n’arrivent tardivement. L’État assure vouloir conjuguer célérité et équité, conscient que la confiance des populations est le socle d’un chantier pérenne.
Vers une résilience urbaine inclusive
Au-delà du cas emblématique de Saint-Augustin, la gestion de la Tsiemé renvoie à l’enjeu plus large de la résilience de Brazzaville face aux mutations climatiques. Les urbanistes recommandent de coupler infrastructures grises et solutions fondées sur la nature, par exemple la restauration de zones humides tampons et la revégétalisation des berges. De son côté, la mairie de Talangaï expérimente depuis avril un service de collecte ciblée des déchets plastiques flottants, initiative saluée par les ONG locales.
Dans un pays où la pluviométrie annuelle peut franchir les 1 400 millimètres, l’avenir de la capitale passe inéluctablement par une redéfinition de sa relation à l’eau. La paroisse Saint-Augustin, en dépit des infortunes répétées, continue d’offrir un espace d’espérance. « Notre église survivra aux crues, mais nous souhaitons surtout que les travaux annoncés consolident la dignité des riverains », insiste le père Mabiala. À l’horizon, la concrétisation du projet Tsiemé pourrait transformer un site vulnérable en vitrine de l’expertise congolaise en aménagement hydrologique, et convertir le banc d’épreuve actuel en laboratoire de résilience urbaine.