Des compétences au service de la souveraineté alimentaire
Dans les salons feutrés de l’hôtel Radisson Blu de Brazzaville, l’atmosphère du 26 juin dernier oscillait entre satisfaction mesurée et confiance pragmatique. Autour de la table, représentants du ministère de l’Agriculture, partenaires sociaux, experts du Bureau international du travail et bailleurs emmenés par la Banque africaine de développement ont apposé leur sceau sur un document qualifié de « pierre angulaire » du renouveau agro-congolais. Cette stratégie d’identification des compétences, élaborée dans le cadre du Projet de développement intégré des chaînes de valeur agricoles (Prodivac), ambitionne d’aligner la formation professionnelle sur les besoins réels des filières manioc, maïs, poisson et volaille.
À l’heure où l’actualité internationale agite la question de la sécurité alimentaire, le Congo inscrit ainsi son action dans le Plan national de développement 2022-2026. Selon Pascal Robin Ongoka, directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture, « le secteur agricole prend un tournant décisif ; il doit redevenir la locomotive d’une croissance endogène, apte à nourrir nos villes et à créer des emplois durables ».
Une méthodologie internationale adaptée au contexte congolais
La singularité du processus tient à l’application de la méthode STED (Skills for Trade and Economic Diversification) conçue par le BIT. Entre octobre et novembre 2024, une série d’enquêtes de terrain a permis de cartographier les profils professionnels existants, de quantifier les écarts de compétences et de bâtir un mécanisme d’anticipation des métiers. « Avec STED, nous disposons enfin d’un tableau de bord fiable pour orienter nos politiques publiques », souligne Gloria Oket Ondako, coordinatrice du Prodivac. Le dispositif ne se contente pas de décrire la demande ; il propose des scénarios de développement, assortis d’indicateurs précis pour mesurer l’adéquation entre formation et emploi.
Concrètement, trois ensembles d’informations ont été croisés : la structure actuelle du marché du travail, les tendances technologiques – mécanisation, transformation, logistique – et les ambitions commerciales des filières ciblées. Il en ressort une matrice de compétences où l’agronomie de précision, la gestion de coopérative, la maintenance de chaînes de froid et le marketing digital figurent en bonne place. Un tel calibrage devrait réduire l’inadéquation chronique entre compétences disponibles et exigences des investisseurs, source bien connue de sous-emploi des jeunes diplômés.
Vers une gouvernance partagée de la formation agricole
Au-delà de l’exercice technique, l’atelier de Brazzaville a mis en lumière un principe de gouvernance collaborative. Les organisations d’employeurs, les syndicats de travailleurs, les universités, mais aussi les collectivités locales ont été invités à enrichir puis à valider le document stratégique. « La compétence n’est plus l’apanage exclusif de l’école, elle se construit dans un dialogue permanent avec l’entreprise et le territoire », rappelle un représentant de la Chambre d’agriculture.
Cette ouverture devrait accélérer la révision des curricula au sein de l’Institut national de recherche agronomique et forestière, des lycées techniques ruraux et des centres de formation professionnelle. Le ministère envisage déjà la création de certificats de spécialisation à géométrie variable, capables d’évoluer au rythme des innovations. Pour consolider cette dynamique, un comité de pilotage multisectoriel supervisera le déploiement de la stratégie, évaluera chaque année l’impact sur l’emploi et proposera, le cas échéant, des ajustements budgétaires.
Perspectives pour la jeunesse et les territoires ruraux
Sur le terrain, les attentes sont palpables. Dans le district de Gamboma, bastion du manioc, de jeunes entrepreneurs expérimentent déjà des variétés à haut rendement couplées à des outils numériques de suivi des cultures. « Si la formation suit, nous pourrons doubler notre production en trois ans », assure Mireille Oba, cheffe de coopérative, qui voit dans la future montée en compétences un moyen de fidéliser la main-d’œuvre locale. De l’avis des économistes, la valeur ajoutée générée par la transformation sur place – gari, farine panifiable, aliments pour bétail – pourrait hisser la contribution de l’agriculture à plus de 10 % du PIB dès 2028.
Parallèlement, le segment aquacole, soutenu par la BAD, se prépare à renforcer la chaîne logistique du poisson frais grâce à des techniciens spécialisés en qualité sanitaire et gestion d’étang. L’objectif affiché est de substituer progressivement les importations onéreuses par une production nationale compétitive, tout en créant des débouchés pour les diplômés des centres maritimes de Pointe-Noire.
Le pari d’une croissance inclusive et durable
La stratégie validée à Brazzaville ne prétend pas résoudre, du jour au lendemain, la totalité des goulets d’étranglement structurels. Reste notamment la question du financement des micro-exploitations et de la modernisation des équipements, sans lesquels la montée en compétences resterait partiellement lettre morte. Cependant, en articulant formation, innovation et accès au marché, le document ouvre un couloir de transformation qui épouse les priorités du gouvernement en matière de diversification économique.
« Nous tenons à féliciter notre partenaire, le BIT, pour son abnégation et sa détermination », a insisté Pascal Robin Ongoka. Cet hommage, loin d’être simplement protocolaire, traduit la volonté de consolider une alliance technique et financière avec les institutions multilatérales, considérée comme cruciale dans un contexte post-pandémie. Au-delà des discours, les signataires de la nouvelle feuille de route savent que le succès se mesurera dans les champs verdoyants de la Cuvette, dans les marchés urbains de Brazzaville ou de Dolisie, et surtout dans les trajectoires professionnelles d’une jeunesse en quête de perspectives. Si la compétence devient véritablement la première récolte, alors l’agriculture congolaise aura franchi un cap stratégique vers une croissance inclusive et durable.