Brazzaville face au grand tournant de la finance climatique
Au moment où la planète cherche des points d’ancrage crédibles pour la transition écologique, la République du Congo avance ses atouts forestiers comme carte maîtresse. Le gouvernement de Brazzaville, conscient de la pression croissante exercée par les marchés du carbone et les bailleurs internationaux, multiplie les initiatives diplomatiques afin de convertir sa richesse écologique en valeur économique. L’arrivée du gestionnaire allemand ASC Impact s’inscrit dans cette stratégie, et ce partenariat, officialisé en 2021, cristallise la volonté nationale de concilier protection des écosystèmes et impératif de diversification des recettes non pétrolières.
ASC Impact, un investisseur à impact sélectif et patient
Basé à Munich, ASC Impact se définit comme un « gestionnaire d’investissements durables cherchant un triple dividende social, écologique et financier ». Le groupe scrute de longue date les marchés émergents où la forêt constitue un actif stratégique. « Le Congo offre une combinaison unique de richesse écologique, de volonté politique et d’administration engagée », confie son directeur, Karl Ernst Kirchmayer. Dans son pipeline africain, le pays se distingue par la densité de ses forêts tropicales et par le cadre réglementaire révisé en 2020 qui impose désormais la transformation locale du bois. Pour le fonds, le risque politique est calibré, tandis que le potentiel de valorisation du carbone reste très attractif dans un contexte européen de quotas toujours plus stricts.
Vienne, laboratoire discret d’une gouvernance tripartite
L’épicentre opérationnel du projet ne se trouve ni à Brazzaville ni à Berlin, mais à Vienne, où des sessions de travail réunissent régulièrement ASC Impact, les ministères congolais des Zones économiques spéciales, de la Diversification économique et de l’Économie forestière, ainsi que des partenaires autrichiens. Ces réunions, qualifiées de « processus véritablement collaboratif » par Karl Ernst Kirchmayer, servent à harmoniser les plans d’utilisation des terres, sécuriser le foncier et calibrer les mécanismes de financement carbone. La participation active des ministres Jean-Marc Thystère-Tchicaya et Rosalie Matondo, saluée par les acteurs privés, illustre l’engagement institutionnel congolais et rassure les investisseurs européens sur la continuité des politiques publiques.
Zones économiques spéciales : vers des pôles agro-industriels intégrés
Le projet dépasse la simple plantation d’arbres. L’idée directrice consiste à arrimer les zones de reboisement à des pôles agro-industriels logés au sein des zones économiques spéciales (ZES) de Pointe-Noire et d’Oyo-Ouesso. En internalisant la transformation du bois et la production de cultures vivrières associées, le Congo espère capter davantage de valeur ajoutée locale tout en sécurisant des milliers d’emplois. Les chaînes de valeur doivent se structurer autour d’unités de sciage à haute efficacité énergétique, de raffineries d’huiles essentielles et de centres de certification carbone capables d’émettre des crédits compatibles avec les standards Verra ou Gold Standard, deux sésames indispensables pour accéder aux places de marché internationales.
Objectif 2025 : premiers hectares reboisés, premiers emplois créés
Les sites pilotes, déjà identifiés dans la cuvette congolaise et le Niari, entrent en phase de mise en œuvre. Selon ASC Impact, les premiers résultats tangibles – hectares reboisés, emplois directs et indirects, formation des techniciens sylvicoles – devraient être visibles avant la fin 2025. Sur dix ans, le consortium table sur plusieurs dizaines de milliers d’hectares régénérés, une réduction mesurable des émissions liées à la déforestation et une montée en puissance des exportations de produits bois-énergie certifiés. Cette temporalité longue épouse l’horizon d’investissement du fonds, mais aussi les ambitions de Brazzaville, qui aspire à devenir une référence régionale de la croissance verte.
Défis opérationnels et effet de démonstration régional
Si le climat d’affaires s’avère favorable, plusieurs contraintes demeurent, notamment la logistique routière entre les bassins forestiers et les ports, la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée et la volatilité des prix du carbone. Le gouvernement congolais mise sur la montée en régime progressive des ZES, soutenue par des programmes de formation financés par l’Agence congolaise pour l’emploi et des partenaires techniques autrichiens. À terme, la réussite du modèle pourrait inspirer les pays voisins, confortant la position de Denis Sassou Nguesso comme figure de proue du plaidoyer climatique en Afrique centrale. Pour Karl Ernst Kirchmayer, « le Congo possède tous les ingrédients pour devenir un laboratoire de la bio-économie tropicale ».
À l’heure où l’Union africaine promeut la Grande Muraille Verte et que la COP 29 se profile, la vitrine congolaise pourrait ainsi conjuguer diplomatie environnementale, diversification économique et inclusion sociale. Le pari est audacieux, mais il s’appuie sur une convergence d’intérêts rarement observée entre capitaux européens, expertise locale et vision politique. Si les engagements financiers se concrétisent, le jeune urbain brazzavillois pourrait très vite constater que, derrière les chiffres du PIB, la forêt redevient un levier quotidien de développement et d’emplois.