Brazzaville découvre l’UNICOOPAC : un nouvel acteur structurant
Il est midi passé de quelques minutes lorsque la salle de réunion du siège de l’Union congolaise des coopératives, producteurs et artisans du Congo, niché au cœur du sixième arrondissement de la capitale, se remplit d’une chaleur à la fois tropicale et enthousiaste. À la tribune, Aser Sidney N’se Adzeney, chemise immaculée et regard déterminé, annonce devant une assistance composite la naissance officielle de l’UNICOOPAC, organisation syndicale appelée à fédérer rapidement plusieurs dizaines de coopératives rurales et urbaines.
Aux premiers rangs, la marraine de la plateforme, Mme Joël Longonda, salue « une initiative qui conjugue solidarité paysanne et sens des affaires », tandis que les représentants des ministères sectoriels soulignent la concordance de l’événement avec les ambitions nationales en matière de diversification économique. L’atmosphère est studieuse mais confiante : chacun saisit qu’il ne s’agit pas d’un simple lancement médiatique, mais du signal d’une réorganisation en profondeur de la chaîne de valeur agricole.
Les défis structurels d’une agriculture sous-exploitéE
Le Congo possède, selon les estimations officielles, plus de dix millions d’hectares arables baignés par des cours d’eau réguliers et un ensoleillement généreux. Pourtant, les étals des marchés de Poto-Poto ou de Moungali débordent encore majoritairement de produits importés, entraînant une facture annuelle qui frôle les soixante-dix pour cent des besoins alimentaires nationaux. Les causes sont connues : faible mécanisation, coûts logistiques importants, accès limité au crédit et morcellement des exploitations.
Face à ces obstacles, Aser Sidney N’se Adzeney dresse un constat sans complaisance : « Nous ne pouvons plus considérer l’agriculture comme un secteur secondaire ; elle est fondatrice de notre liberté collective. » Ce propos fait écho à l’appel récurrent du président Denis Sassou Nguesso qui, depuis quelques années, invite les jeunes à « remettre les mains dans la terre pour garantir la souveraineté alimentaire ». En se positionnant comme porte-voix des producteurs, l’UNICOOPAC entend articuler les attentes du terrain avec les priorités gouvernementales.
ZLECAF, fenêtre d’opportunités continentales
L’entrée en vigueur progressive de la Zone de libre-échange continentale africaine redistribue les cartes pour les producteurs congolais. Avec un marché potentiel dépassant le milliard de consommateurs, la ZLECAF offre d’emblée une profondeur stratégique que peu d’économies régionales peuvent ignorer. « Le potentiel est immense, mais il ne suffit pas d’avoir accès au marché, il faut pouvoir produire », insiste le président de l’UNICOOPAC en citant la maxime présidentielle.
Les observateurs économiques soutiennent que la position géographique du Congo, entre bassins fluvial et océanique, lui confère un avantage comparatif pour devenir couloir d’exportations vers l’Afrique centrale et australe. Encore faut-il harmoniser les normes phytosanitaires, optimiser les corridors logistiques et asseoir la compétitivité prix. Dans ce contexte, la nouvelle union syndicale voit dans la ZLECAF un catalyseur de bonnes pratiques plutôt qu’une menace concurrentielle.
La diplomatie agricole au service de la souveraineté alimentaire
L’UNICOOPAC ne se limite pas à fédérer les paysans ; elle ambitionne de devenir un interlocuteur reconnu des institutions nationales et régionales. Le discours inaugural a ainsi mis l’accent sur la « diplomatie agricole », concept par lequel la plateforme veut négocier, avec les pouvoirs publics, des facilités de stockage, des incitations fiscales pour l’acquisition d’équipements ou encore l’implantation de centres de services partagés.
Cette posture de plaidoyer s’inscrit dans la continuité des réformes déjà engagées par le gouvernement, notamment la Stratégie nationale de développement durable, qui consacre un volet spécifique à l’autonomie vivrière. En adoptant un ton fédérateur, l’UNICOOPAC se donne la capacité de transformer la rhétorique de la souveraineté alimentaire en programmes concrets et budgétisés.
Cap sur la mécanisation et la formation des jeunes
Le dérèglement climatique et l’évolution des habitudes de consommation imposent une modernisation urgente des pratiques culturales. Consciente de ce défi, l’UNICOOPAC annonce un plan de formation modulaire en agro-écologie, gestion coopérative et maintenance d’équipements. « Sans connaissances, la mécanisation risque de devenir un simple décor technologique », avertit un instructeur venu du Centre de recherche agronomique de Loudima.
Parallèlement, des discussions avancées avec les autorités administratives portent sur l’installation, dans chaque département agricole, d’un parc de tracteurs mutualisés et de services de location de semoirs de précision. Cette approche collective vise à éviter l’endettement individuel des petits exploitants tout en faisant gagner du temps sur les calendriers de semis. Les premières expérimentations menées dans la Cuvette révèlent déjà une augmentation de rendement de près de trente pour cent.
Regards d’experts et perspectives à moyen terme
Pour le macro-économiste Albert Mabiala, professeur à l’Université Marien-Ngouabi, « l’émergence d’un syndicat professionnel à forte assise territoriale est la meilleure garantie de durabilité des politiques agricoles. Le temps des projets pilotes sans ancrage social est révolu ». De son côté, l’ingénieure agronome française Claire Delaunay, actuellement consultante auprès de la Commission de la CEMAC, estime que l’intégration effective du Congo dans la ZLECAF passe par un renforcement de la traçabilité et du label qualité, notamment sur le manioc transformé et le cacao.
À court terme, l’UNICOOPAC veut rallier cinq cents coopératives et porter la production locale de légumes à hauteur de cinquante pour cent de la demande urbaine de Brazzaville. À moyen terme, l’objectif affiché est de réduire de moitié la facture d’importation des denrées de base, un scénario jugé plausible par plusieurs analystes, à condition de maintenir le cap sur la formation, la valorisation des filières porteuses et la consolidation des partenariats public-privé. Sur ces points, les discours des autorités et des producteurs convergent, signe que la saison de l’alignement stratégique pourrait, enfin, avoir germé.