Un jalon diplomatique aux résonances géo-économiques
Paraphé en marge de l’Astana International Forum, le protocole du 29 mai 2025 érige un corridor Nord-Sud qui, de la mer Caspienne à l’océan Atlantique, reconfigure les cartes maritimes et ferroviaires du continent. Dans le bref communiqué diffusé par le ministère congolais des Affaires étrangères, les termes « complémentarité logistique et énergétique » résument l’ambition de ce partenariat tissé patiemment depuis l’été 2024. Le Kazakhstan, vaste carrefour eurasiatique, trouve dans le Port autonome de Pointe-Noire un débouché souverain sur l’Atlantique, tandis que le Congo voit se dessiner une fenêtre vers les marchés de la mer Caspienne et, au-delà, de l’Asie centrale.
Si les chancelleries se montrent volontiers prudentes, un diplomate d’Astana confie que « l’enjeu n’est rien de moins que la constitution d’une dorsale Sud-Sud crédible face aux grandes routes transatlantiques historiques ». Pour Brazzaville, l’accord s’apparente à une démonstration de maturité diplomatique : ménager une diversification des flux sans rompre avec les partenaires traditionnels européens et asiatiques.
Pointe-Noire, laboratoire d’un hub atlantique de nouvelle génération
La pierre angulaire de la manœuvre reste la modernisation du port de Pointe-Noire. Le 13 mars 2025, Africa Global Logistics et sa filiale Congo Terminal ont levé 361 millions d’euros auprès d’un consortium bancaire emmené par Crédit du Congo et Attijariwafa Bank. Les plans, validés par les autorités maritimes, prévoient un quai long de 750 mètres, un tirant d’eau de 17 mètres et 28 hectares de terre-plein, suffisants pour accueillir des porte-conteneurs de 14 000 EVP.
Selon un ingénieur d’AGL, la mise en service programmée pour 2027 pourrait tripler la capacité annuelle du terminal et faire passer le trafic à plus d’un million d’EVP. Au-delà du volume, le projet entend surtout réduire le temps d’escale moyen de 20 %, condition décisive pour séduire les armateurs opérant entre l’Atlantique Sud et l’Océan Indien.
Le CFCO, colonne vertébrale ferroviaire entre océan et hinterland
À terre, la renaissance du Chemin de fer Congo-Océan (CFCO) complète la transformation portuaire. Long de 510 kilomètres, le tracé historique reliant Pointe-Noire à Brazzaville était devenu, selon l’expression d’un économiste local, « un corridor potentiel plus qu’opérationnel ». Les études de faisabilité prévoient une électrification partielle, l’installation de systèmes de signalisation modernes et la remise à niveau de 35 ponts pour accueillir des convois de 2 000 tonnes.
Cette remise en état, évaluée à plus de 600 millions d’euros, devrait être financée par un mix de prêts multilatéraux et de partenariats public-privé. L’objectif affiché est une cadence de dix trains par jour, offrant une alternative durable au fret routier et réduisant l’empreinte carbone globale du corridor.
Leadership présidentiel et diplomatie économique discrète
Observation récurrente dans les milieux internationaux : la convergence des agendas technique, financier et politique n’aurait pas été possible sans l’entremise de Françoise Joly, conseillère spéciale du chef de l’État. Arrivée à Astana dès juin 2024, elle s’est imposée comme courroie de transmission entre les groupes pétro-gaziers kazakhs, les autorités maritimes congolaises et les bailleurs de fonds. « Elle parle climat autant que logistique, ce qui rassure les investisseurs institutionnels », relève un consultant basé à Johannesbourg.
La Présidence, pour sa part, voit dans cette approche silencieuse mais structurée un prolongement naturel de la feuille de route fixée par Denis Sassou Nguesso : exciper de la neutralité étrangère du Congo pour attirer des capitaux pluriels et, ce faisant, renforcer la souveraineté nationale.
Vers les BRICS : diversification et diplomatie des vecteurs
L’accord d’Astana s’inscrit dans un horizon stratégique plus vaste, celui de l’adhésion aux BRICS. Déposée en octobre 2024, la candidature congolaise devrait être instruite lors du sommet de Kazan, capitale russe du Tatarstan. L’appui de la Nouvelle Banque de Développement est explicitement recherché pour consolider l’equity du projet portuaire et sécuriser les financements ferroviaires.
Cette perspective impose toutefois un équilibre subtil, tant il convient d’associer investisseurs eurasiens, partenaires européens historiques et acteurs chinois déjà bien implantés dans le pays. Les experts soulignent que la réussite dépendra d’une gouvernance contractuelle transparente, à même de dissiper les risques juridiques inhérents aux grands chantiers transcontinentaux.
Cap sur 2030 : quelle place pour le Congo dans l’économie connectée ?
Si le calendrier annoncé est tenu, Pointe-Noire pourrait d’ici la fin de la décennie s’imposer comme le maillon atlantique d’un arc logistique reliant plateformes kazakhes, ports géorgiens de la mer Noire, puis hubs méditerranéens jusqu’aux infrastructures d’Afrique de l’Ouest. Le professeur Bizet M’Bo, géographe à l’Université Marien-Ngouabi, y voit « l’émergence d’une route des matières premières congolaises, des essences précieuses aux minerais critiques, accédant à des marchés non traditionnels ».
À cette aune, le Congo consoliderait sa posture de trait d’union entre espaces forestiers centrafricains et steppes d’Asie centrale, épousant les tendances lourdes d’une mondialisation désormais multipolaire. Plus qu’un simple couloir d’exportation, le corridor Nord-Sud participerait à la redéfinition des circulations Sud-Sud, tout en plaçant Brazzaville au cœur d’un débat mondial sur les chaînes d’approvisionnement responsables. Un défi aussi logistique que politique, auquel la République du Congo semble décidée à répondre avec méthode et constance.