Une tragédie aux premières lueurs près de Tedoa
Les habitants du village Djambala, encore enveloppés par la brume matinale, ont été réveillés le 30 juin par un fracas métallique suivi de cris. Un autocar de la compagnie « Avenir de Centrafrique », parti de Garoua-Boulaï en direction de Bangui, s’est renversé sur une portion réputée sinueuse située à dix kilomètres de Tedoa, dans la préfecture de la Nana-Mambéré. Le bilan provisoire fait état d’au moins trois victimes et d’une vingtaine de blessés, dont certains grièvement touchés au thorax et aux membres. Les premiers secours, mobilisés par la gendarmerie et les autorités sous-préfectorales, ont évacué les plus atteints vers l’hôpital régional de Bouar avant un transfert, pour sept d’entre eux, au Centre hospitalier universitaire de Bangui.
Le corridor Garoua–Bangui, artère vitale et vulnérable
Cette route transfrontalière constitue l’épine dorsale des flux commerciaux entre le Cameroun, la République centrafricaine et, plus loin, les marchés congolais. Selon la Cellule de coopération routière de la CEMAC, plus de cinq cents véhicules de transport de passagers et de marchandises l’empruntent chaque semaine, transportant vivres, matériaux et tissus vers l’hinterland centrafricain tandis que du bétail et du café prennent la direction du port de Douala. L’accident de Djambala rappelle que cet axe, bien que stratégique, reste l’un des points noirs du réseau régional : chaussée partiellement dégradée, virages serrés, signalisation lacunaire et densité croissante du trafic rendent la circulation périlleuse.
Témoignages croisés : entre fatalité et lacunes logistiques
« Le conducteur semblait lutter avec le volant dans la descente », raconte Marcel G., un commerçant ayant pris place à l’avant du bus et rescapé avec des contusions. D’autres passagers évoquent un probable problème de freins. Sur les lieux, les agents de la compagnie d’assurance ont retrouvé des traces de gomme prolongées sur près de trente mètres, indice d’un freinage tardif. Pour le lieutenant-colonel Sylvestre Koyama, commandant de la compagnie territoriale, l’hypothèse d’une surcharge ne peut pas être écartée : « Nous avons dénombré cinquante-deux passagers pour quarante- trois places ». L’argument fataliste du « mauvais sort » cède progressivement la place à l’analyse rationnelle de défaillances techniques et organisationnelles.
La question du contrôle technique et de la charge utile
La législation centrafricaine prévoit un contrôle technique annuel, mais dans les faits, la cadence des inspections s’avère aléatoire faute de centres agréés en nombre suffisant. De plus, la pression économique incite certaines compagnies à charger leurs véhicules au-delà des normes, pour amortir les hausses de carburant et de pièces détachées. Dans un rapport conjoint publié en avril, la Banque africaine de développement et la CEMAC soulignaient que 38 % des cars interurbains circulant entre Garoua-Boulaï et Bangui présentent des freins ou suspensions défectueux. Les statistiques rappellent qu’un véhicule mal entretenu, lancé à 80 km/h sur un ruban d’asphalte raviné, devient un projectile à la moindre imprudence.
Réponse institutionnelle et enquêtes en cours
Le préfet de la Nana-Mambéré, Lucien Nguérékata, a ordonné l’ouverture d’une enquête administrative et pénale pour déterminer les responsabilités. Le ministère centrafricain des Transports, de son côté, dépêche une mission d’audit technique sur l’état du car accidenté et sur la conformité de l’itinéraire. Signe d’une prise de conscience plus large, le secrétariat permanent du Programme de facilitation des transports sur le corridor Douala-Bangui-Brazzaville a annoncé, dans un communiqué, la tenue prochaine d’un atelier à Libreville consacré à l’harmonisation des contrôles de charge à l’essieu et au partage de bases de données sur les infractions routières.
Vers une stratégie suprarégionale de prévention
Les spécialistes s’accordent pour dire qu’aucun pays ne peut affronter isolément le défi de la sécurité routière. Pour le professeur David Biangondo, expert en génie civil à l’Université Marien-Ngouabi de Brazzaville, « l’amélioration des infrastructures reste essentielle, mais elle doit s’accompagner d’une gouvernance intégrée des transports, de la formation continue des chauffeurs et d’un contrôle électronique des limites de vitesse ». Le plan décennal de la CEMAC, adopté en 2023, prévoit déjà la modernisation de 570 kilomètres de chaussée et l’installation de postes de pesage intelligents, mais la mise en œuvre dépendra du financement et de la coordination inter-étatique.
Les enseignements à tirer pour Brazzaville et ses partenaires
Si l’accident concerne la Centrafrique, ses répercussions touchent toute l’Afrique centrale, y compris le Congo-Brazzaville où convergent une partie des marchandises détournées du corridor. Brazzaville, qui a lancé en 2022 un vaste programme de modernisation des axes Pointe-Noire-Ouesso, peut faire valoir son expérience en matière de radars pédagogiques et de campagnes de sensibilisation urbaines. Le ministre congolais des Transports soulignait récemment, lors d’une réunion du Comité interministériel sur la sécurité routière, « l’importance d’un partage d’expertise afin que chaque tragédie, aussi douloureuse soit-elle, devienne une source d’apprentissage collectif ». Au-delà des discours, la coordination accrue des forces de police routière, la création d’une base de données commune sur les permis de conduire et la mutualisation des secours d’urgence pourraient transformer les promesses en réalités palpables.
Perspectives d’avenir pour une mobilité sûre
La route Garoua-Bangui, théâtre du drame de Djambala, rappelle à la région qu’un accident n’est jamais un événement isolé : il traduit un faisceau de causes techniques, humaines et institutionnelles. Réparer les nids-de-poule, former les conducteurs, surveiller les surcharges et harmoniser les normes douanières constituent les quatre piliers d’une stratégie qui, à terme, renforcera la résilience économique de l’espace CEMAC. Les familles endeuillées de Djambala attendent certes justice et soutien, mais elles adressent aussi un message à toute l’Afrique centrale : la croissance ne peut s’appuyer durablement sur des routes où la vie humaine reste une variable d’ajustement.