Un tête-à-tête diplomatique ancré sur les flots
Le 1ᵉʳ juillet, dans les salons feutrés d’un ministère brazzavillois surplombant le fleuve, Éric Olivier Sébastien Dibas-Franck, secrétaire permanent du Comité interministériel de l’action de l’État en mer et dans les eaux continentales, a reçu l’ambassadrice d’Égypte, Imane Samy Yakout. Au-delà des poignées de main, les deux responsables ont calé les contours d’un futur mémorandum de coopération en matière de sécurité maritime, dossier devenu prioritaire pour les deux capitales.
« L’on espère aboutir rapidement à un accord formel », a confié l’ambassadrice, soulignant la volonté partagée d’asseoir un cadre juridique solide. Cet échange s’inscrit dans la vague d’initiatives régionales visant à assainir la zone maritime du golfe de Guinée et des corridors fluviaux intérieurs, parfois secoués par la pêche illégale ou la contrebande.
L’Égypte, vigie historique entre Méditerranée et mer Rouge
Carrefour maritime millénaire, l’Égypte contrôle l’un des axes vitaux du commerce mondial : le canal de Suez. Forte de cette position, elle a bâti un savoir-faire reconnu en matière de sûreté portuaire, de contrôle du trafic et de surveillance côtière. Le pays abrite également un bureau régional de l’Organisation maritime internationale, ce qui en fait, selon plusieurs analystes, « un laboratoire africain de bonnes pratiques navales ».
Pour Brazzaville, s’adosser à cette expertise relève d’une diplomatie pragmatique. Les officiers congolais pourront, à terme, profiter de formations techniques dispensées au Caire ou à Alexandrie sur les systèmes automatiques d’identification de navires, l’analyse satellite ou la gestion des incidents en mer. Autant de compétences jugées cruciales pour un littoral congolais court – 170 km – mais stratégique, et pour un réseau fluvial de plus de 5 000 km qui irrigue l’économie nationale.
La Stratégie nationale pour la mer, socle des ambitions congolaises
Validée le 6 juin à Brazzaville, la Stratégie nationale pour la mer et les eaux continentales fixe un cap clair : faire émerger une économie bleue durable tout en consolidant l’autorité de l’État sur l’espace maritime. Le texte met l’accent sur la lutte contre la criminalité transnationale, la protection de l’environnement et la modernisation des ports de Pointe-Noire et de Brazzaville.
Le dispositif institutionnel a déjà gagné en densité avec la création d’un centre national de coordination des opérations maritimes et l’installation de radars côtiers à Loango et à Hinda. Mais le Congo sait que la mutualisation des moyens reste la clé : « Les menaces n’ont pas de frontières, notre réponse non plus », confie un officier de la marine, évoquant la nécessaire interopérabilité avec les partenaires régionaux.
Un mémorandum Sud-Sud aux retombées sécuritaires et économiques
Le futur accord avec l’Égypte s’articulera autour de trois piliers : partage de renseignements, formation des personnels et assistance technique. Concrètement, il pourrait inclure des patrouilles conjointes, l’échange en temps réel de données AIS et la mise à disposition d’experts égyptiens lors d’exercices annuels au large de Pointe-Noire.
Au-delà de l’aspect sécuritaire, Brazzaville envisage déjà des retombées économiques. Une mer mieux protégée attire les armateurs, réduit les surcoûts des primes d’assurance et favorise les investissements portuaires. Entre 2019 et 2023, la criminalité maritime dans le golfe de Guinée a provoqué, selon l’ICC, près de 840 millions de dollars de pertes directes. Abaisser ce risque pourrait libérer des ressources indispensables au financement de projets d’aquaculture ou de tourisme côtier.
Jeunesse brazzavilloise : cap sur les métiers de l’économie bleue
Dans les universités publiques et dans les centres de formation professionnelle de la capitale, l’annonce du rapprochement avec l’Égypte suscite un intérêt palpable. « Nous travaillons déjà sur un cursus de gestion portuaire en partenariat avec l’Institut arabe des transports maritimes », révèle un enseignant de l’Université Marien-Ngouabi. Ces programmes devraient ouvrir aux jeunes des débouchés dans la logistique, la maintenance navale et la surveillance environnementale.
Les organisations de la société civile saluent par ailleurs la dimension durable du projet. L’objectif affiché est de concilier développement et préservation des mangroves, réservoirs de biodiversité et boucliers naturels contre l’érosion. Cette articulation entre sécurité, économie et écologie pourrait, estiment certains chercheurs, « constituer un modèle de gouvernance intégrée pour les petits pays côtiers d’Afrique centrale ».
Un horizon sécurisé pour un avenir partagé
En choisissant de s’arrimer à l’expérience égyptienne, le Congo poursuit une trajectoire diplomatique qui privilégie la coopération Sud-Sud et la montée en compétences nationales. Les discussions de juillet ont confirmé la convergence des objectifs : faire reculer l’insécurité tout en ouvrant la voie à une économie bleue pérenne.
Si la signature du mémorandum est attendue dans les prochains mois, les observateurs soulignent déjà une évolution notable : la sécurité maritime n’est plus perçue comme un coût imposé par les aléas, mais comme un investissement stratégique. Dans un contexte où la mer devient un vecteur majeur de croissance, Brazzaville et Le Caire semblent déterminés à naviguer de concert vers un horizon plus sûr et plus prospère.