Une fenêtre démographique à transformer en dividende
Le premier ministre Anatole Collinet Makosso a rappelé, lors de l’ouverture des assises sur l’employabilité et l’entrepreneuriat des étudiants, que le Congo compte 1 224 495 jeunes âgés de 20 à 39 ans, soit près d’un tiers de la population. Dans un pays où l’indice de dépendance économique reste élevé, cette tranche d’âge représente une opportunité considérable pour dynamiser la productivité nationale. « La jeunesse est le pilier sur lequel s’appuie la capacité de l’État à répondre aux enjeux d’un monde de plus en plus interconnecté, complexe et fragile », a-t-il souligné, citant la feuille de route présidentielle qui fait de 2025 le prolongement stratégique de 2024.
Cette fenêtre démographique place les décideurs face à une nécessité pressante : convertir un potentiel statistique en véritable dividende économique. Selon plusieurs analystes du marché du travail brazzavillois, la situation actuelle impose de redessiner les chemins classiques d’insertion professionnelle, en misant sur l’auto-emploi et la création de valeur locale comme relais de croissance.
Vers une culture de l’action plutôt que de l’attente
Le chef du gouvernement a insisté sur une « obligation de la jeunesse » : accompagner activement les politiques publiques déployées en sa faveur. En d’autres termes, il ne s’agit plus seulement de bénéficier d’initiatives institutionnelles, mais de devenir partie prenante de leur incarnation. « Trouver un emploi, créer un emploi, c’est votre autonomisation, mais c’est aussi vous positionner comme acteurs actifs de la transformation du Congo », a-t-il martelé.
Cette doctrine de l’action directe résonne particulièrement auprès d’une génération connectée et avide de solutions pratiques. Le sociologue urbain Charles-Grégoire Mvouba rappelle que le lexique du développement est passé du verbe “attendre” au verbe “initier”; un changement sémantique qui traduit une mutation des mentalités, notamment dans les quartiers estudiantins de Makélélé et Talangaï, où prolifèrent des incubateurs improvisés.
Universités, entreprises et collectivités : le triangle de la fertilisation croisée
L’une des recommandations majeures issues des assises consiste à multiplier les passerelles entre le monde académique et l’écosystème économique. Alternance, apprentissage, stages longs et mentorat figurent désormais dans les grilles d’évaluation des parcours universitaires. La ministre de l’Enseignement supérieur, Delphine Edith Emmanuelle, y voit une traduction concrète du manifeste pour la diplomatie scientifique francophone, qui place l’employabilité au rang des priorités partagées.
Pour le patronat congolais, cette ouverture arrive à point nommé. Les PME brazzavilloises, particulièrement dans l’agro-transformation et le numérique, peinent à recruter des profils opérationnels. En intégrant plus tôt l’étudiant dans l’entreprise, les dirigeants espèrent réduire les coûts de formation interne et accélérer la mise sur le marché de projets innovants.
Le Cames comme catalyseur régional de compétences
La dynamique nationale s’inscrit dans une reconfiguration plus large de l’espace Cames, qui encourage désormais la professionnalisation des diplômes. Les experts de l’organisation panafricaine estiment que la mutualisation des référentiels de compétences facilitera la mobilité des jeunes diplômés entre Brazzaville, Abidjan ou Dakar, tout en renforçant la compétitivité intra-africaine.
En pratique, plusieurs facultés congolaises expérimentent déjà des modules d’ingénierie innovante ou de design thinking codéveloppés avec des universités partenaires d’Afrique de l’Ouest. Selon la doyenne de la faculté des sciences économiques de Marien-Ngouabi, ce maillage « ouvre aux étudiants un horizon régional, sans pour autant les déraciner du tissu productif national ».
Une parole étudiante qui refuse la marginalité
Le président de l’Union libre des élèves et étudiants du Congo, Garly Chèrubin Will-Rudel Ibara, a salué la « rupture de posture » illustrée par ces assises. « Nous ne voulons plus seulement compter, nous voulons construire », a-t-il déclaré, fixant à la jeunesse estudiantine l’ambition de devenir force de proposition dans le débat économique national.
Cette prise de parole traduit une maturité croissante d’une génération qui, loin de se cantonner aux revendications traditionnelles sur les bourses ou l’habitat universitaire, réclame un siège à la table où se négocient les politiques sectorielles. Les observateurs politiques y voient le signe d’une citoyenneté active, compatible avec la volonté gouvernementale de co-construction.
Des défis structurels qui exigent constance et pragmatisme
Si l’intention politique bénéficie d’un consensus notable, les défis demeurent nombreux : cadre réglementaire des startups, accès au crédit, fiscalité adaptée ou encore accompagnement post-création. Le directeur d’un fonds d’amorçage récemment lancé à Brazzaville estime que « l’écosystème financier n’a pas encore trouvé la bonne viscosité pour irriguer massivement les projets jeunes ».
Pour conserver son momentum, le processus devra s’appuyer sur des mécanismes d’évaluation continus. À cet égard, la Cellule d’analyse et de prospective du gouvernement prévoit la publication semestrielle d’un baromètre de l’employabilité, outil de suivi destiné à ajuster les dispositifs. L’enjeu ne se limite donc pas à proclamer des intentions, mais à les inscrire dans une temporalité mesurable, seule garante d’un impact durable sur la courbe du chômage.
Perspectives : du capital humain au capital de confiance
La chaîne de valeur que le Congo souhaite bâtir, de l’amphithéâtre à l’atelier, passe par une alchimie subtile : stimuler la créativité tout en sécurisant l’environnement d’affaires. En scellant une alliance entre institutions publiques, secteur privé et société civile, les autorités espèrent signer un pacte intergénérationnel où chaque étudiant, chaque jeune entrepreneur deviendra, selon l’expression du Premier ministre, « un levier de transformation harmonieuse ».
À l’heure où de nombreuses économies africaines se disputent les capitaux et les talents, la stratégie congolaise se distingue par un accent porté sur la confiance : confiance dans les politiques publiques, dans la solidité des partenariats et, surtout, dans la capacité de la jeunesse à porter un récit national de résilience et d’innovation. Le pari, ambitieux mais réaliste, est que ce capital de confiance se traduise demain en emplois, en entreprises pérennes et en prospérité partagée.