Un orage exceptionnel qui rappelle la vulnérabilité urbaine
Le 14 juin dernier, un front orageux d’une intensité rarement observée s’est abattu sur la cuvette de Brazzaville. En l’espace de quelques heures, les quartiers de Talangaï et de Mfilou ont vu leurs ruelles se transformer en torrents, emportant toitures, marchandises et, tragiquement, sept vies humaines. Selon les premières données consolidées par la direction générale de la météorologie nationale, il est tombé plus de 180 mm de pluie en moins de six heures, soit l’équivalent d’un tiers des précipitations moyennes d’un mois de juin. La topographie enclavée et la saturation des systèmes de drainage, souvent obstrués par des déchets domestiques, ont aggravé la montée brutale des eaux.
Une réponse humanitaire coordonnée et saluée
Face à l’ampleur des dégâts – 6 800 ménages sinistrés, quelque 28 000 personnes privées de toit –, la coordination du système des Nations unies a été rapidement mobilisée. Vendredi 30 juin, dans la cour du dépôt central de la direction des affaires humanitaires, un convoi de camions bâchés a symboliquement remis au gouvernement des palettes de riz, de l’huile alimentaire, des solutions chlorées, des médicaments essentiels, sans oublier pioches, pelles et brouettes destinées au déblai. « C’est un appui de première ligne qui vise à soulager les familles dans les quarante-huit heures critiques, mais il ne constitue qu’une étape », a précisé Gon Myers, représentant résident du Programme alimentaire mondial, rappelant le mandat de son agence « de soutenir la transition vers des solutions durables ».
Abdourahamane Diallo, coordonnateur résident de l’ONU, a souligné la dynamique collective : « Toutes les agences, du HCR à l’Unicef, en passant par l’OMS, se sont inscrites dans une démarche d’alignement sur les priorités exprimées par Mme Mboukou Kimbatsa. » Pour la ministre des Affaires sociales, cette synergie traduit « l’esprit de partenariat prôné par le Plan national de développement 2022-2026 ». Les observateurs saluent en effet la fluidité des échanges entre les commissions gouvernementales – urgence humanitaire et solutions durables – et les cellules techniques onusiennes, un dispositif déjà éprouvé lors des inondations de la Likouala en 2019.
Au-delà de l’urgence, le pari de la reconstruction résiliente
Les autorités nationales insistent désormais sur l’importance d’associer relogement provisoire et planification urbaine. D’après la cellule d’aménagement de la préfecture, plus de 60 % des habitations inondées sont situées dans des zones classées « à risque très élevé » par le schéma directeur de 2009. Les discussions portent sur la délocalisation volontaire des ménages vers les sites viabilisés de Kintélé et Ngamaba, assortie de mécanismes d’indemnisation. « La notion de résilience ne se résume pas à rebâtir les mêmes structures au même endroit », avertit le géographe urbain Jean-Patrick Nkouka, qui plaide pour « des quartiers pilotes intégrant noues paysagères et toits captant l’eau de pluie ».
Le ministère de la Construction prépare, en concertation avec ONU-Habitat, un guide technique simplifié pour les petits maîtres d’ouvrage, proposant des normes de fondations surélevées et des matériaux moins vulnérables à l’humidité. L’enjeu est double : réduire les risques tout en maintenant la main-d’œuvre locale dans la boucle économique.
Financements, logistique et gouvernance : l’équation brazzavilloise
La mobilisation de ressources demeure cruciale. Le gouvernement annonce la mise en ligne, dans les prochains jours, d’un fonds dédié alimenté par les partenaires techniques et financiers, mais aussi par les entreprises privées nationales. Plusieurs sociétés des secteurs pétrolier et télécoms ont déjà signalé leur intention de contribuer. Pour l’économiste Sylvie Opimbat, il s’agit « d’associer aux mécanismes d’aide classique des instruments innovants tels que les obligations vertes souveraines ou les partenariats public-privé sur les infrastructures de drainage ».
Sur le terrain, se pose également la question de l’accessibilité des sites. Les inondations ont rendu impraticables certains axes secondaires, compliquant la distribution de l’eau potable et la collecte des ordures. Le groupement d’ingénierie militaire, appuyé par le bureau local de l’Organisation internationale pour les migrations, œuvre à la réfection rapide des voies, une démarche saluée par la société civile, qui redoute les effets sanitaires d’une stagnation prolongée des eaux.
Une ville laboratoire face au défi climatique régional
Brazzaville n’est ni la première ni la dernière métropole africaine exposée à des crues éclairs. Toutefois, la concomitance entre l’événement du 14 juin et les discussions internationales sur le financement climatique place la capitale congolaise sous les projecteurs. La Commission du bassin du Congo devrait tenir en octobre un symposium technique sur l’adaptation urbaine, auquel le ministère de l’Environnement entend présenter les leçons apprises. « L’expérience brazzavilloise pourrait devenir un cas d’école pour d’autres capitales riveraines du fleuve Congo », estime Marie-Thérèse Bouanga, experte au Centre de recherches hydrologiques.
Dans l’immédiat, la saison sèche offre une fenêtre pour consolider digues et caniveaux. Les experts s’accordent : la durabilité passera moins par des ouvrages monumentaux que par la réinstauration de corridors naturels d’évacuation des eaux, alliée à une sensibilisation continue des riverains sur la gestion des déchets. Le mot d’ordre, répété par la ministre de l’Action humanitaire, résonne comme une feuille de route : « Prévenir, protéger, prospérer. »