Brazzaville retient son souffle avant l’intervention radiophonique
Dimanche à huit heures, nombre d’auditeurs brazzavillois accorderont à leurs récepteurs le même silence quasi liturgique que celui réservé aux grands matchs de la Coupe d’Afrique. Sur la fréquence nationale, Loko Massengo, de son nom complet Marcel Loko Massengo Djeskain, déroulera quinze minutes d’entretien menées par le journaliste Jean-Jacques Jarele Sika. L’annonce, sobre mais efficace, a suffi à déclencher un frisson dans le microcosme culturel : rarement l’ancienne voix du Trio Madjesi se livre à l’exercice médiatique, encore moins sur la radio publique congolaise. Certains directeurs de cabarets du Plateau des 15 Ans avouent déjà avoir avancé leur programmation dominicale pour que musiciens et clients puissent suivre l’échange.
Une voix singulière au service de la rumba
Né en 1947 à Léopoldville d’un couple originaire de Mindouli, Loko Massengo incarne cette perméabilité historique entre les deux rives du fleuve Congo. Son timbre haut perché, ponctué d’attaques gutturales, a très tôt séduit les chefs d’orchestre de la capitale zaïroise d’alors, avant qu’il ne co-fonde le Trio Madjesi puis Les Trois Frères, aventures qui marqueront la décennie 1970. « Il maniait la scène comme un danseur d’opéra, tout en gardant l’authenticité de la rumba bantoue », rappelle le musicologue Alain Ndinga, auteur d’un essai remarqué sur les années vinyl. L’artiste atteint la consécration populaire en 1983 grâce au morceau Beauté noire, bijou mélodique dont l’arrangement feutré épouse la cadence Bloqué Zingué, figure chorégraphique conçue pour faire remonter l’énergie des pistes de danse.
La diaspora comme trait d’union culturel
Installé à Paris depuis 1986, Loko Massengo devient, selon la formule de l’ethnomusicologue française Hélène Lee, « un pont acoustique » entre les capitales africaines et européennes. Sa participation au collectif Kékélé aux côtés de Bumba Massa, Nyboma Mwan’dido ou Syran Mbenza confirme l’enracinement de la rumba dans un cosmopolitisme assumé. Au micro de Radio Congo, l’artiste devrait évoquer ces années d’exil volontaire, entre concerts dans les hauts lieux de la world music et enregistrements destinés aux publics des deux continents. Pour le sociologue Patrick M’Bouity, « la diaspora congolaise a transformé Paris en caisse de résonance de nos identités. Loko en est l’un des ambassadeurs les plus audibles ».
Un rendez-vous patrimonial soutenu par les institutions
L’entretien dominical s’inscrit dans un contexte où la rumba, reconnue patrimoine immatériel de l’humanité, bénéficie d’une attention renouvelée des autorités culturelles. À Brazzaville, le ministère en charge des Arts et des Loisirs multiplie les initiatives visant à préserver les archives sonores et à former une nouvelle génération d’arrangeurs. Inviter un monument vivant comme Loko Massengo sur la chaîne publique répond à cette politique de valorisation. « Nous avons le devoir de rendre hommage à ceux qui ont porté haut la voix du Congo, résume un conseiller du cabinet ministériel. Leur parole éclaire les enjeux actuels de la filière musicale, de la gestion des droits d’auteur à la maîtrise des outils numériques. »
Les secrets de “Beauté noire” enfin dévoilés ?
De l’aveu même de l’animateur Jean-Jacques Jarele Sika, l’émission lèvera le voile sur la genèse de Beauté noire. Comment cette chanson, pourtant enregistrée sur une console huit pistes de fortune, a-t-elle conquis les mélomanes d’Abidjan à Bruxelles ? Loko Massengo devrait revenir sur sa rencontre avec le parolier Jean-Serge Essous, l’influence discrète de la soul américaine des années 1960 et le rôle des choristes féminines dans la texture vocale du refrain. Les passionnés espèrent également entendre quelques anecdotes sur la chorégraphie Bloqué Zingué, véritable phénomène de société dont les pas continuent d’être repris sur les plateformes de partage de vidéos.
Perspectives d’une mémoire musicale vivante
Au-delà de la dimension nostalgique, le passage de Loko Massengo sur les ondes est l’occasion d’interroger l’avenir de la rumba dans un environnement dominé par l’afrobeats et les musiques urbaines. Plusieurs jeunes producteurs de Poto-Poto estiment que le genre demeure une matrice féconde pour les hybridations contemporaines. L’artiste, qui prépare un album collaboratif avec des rappeurs de la scène brazzavilloise, pourrait confirmer cette orientation. Les observateurs notent que le gouvernement soutient la création de studios communaux, gages d’un écosystème capable de faire dialoguer héritage et innovation.
Le dernier mot au public congolais
Journalistes, étudiants en musicologie et simples mélomanes auront quinze minutes à savourer, mais l’écho risque de dépasser cette courte parenthèse dominicale. Les réseaux sociaux brazzavillois bruissent déjà de messages invitant à enregistrer l’émission pour l’étudier ensuite dans les centres culturels. « La radio est un vecteur affectif puissant », rappelle la chercheuse Élisabeth Bissila, « et la voix de Loko Massengo y trouve une résonance intime qui pourrait déclencher un regain d’intérêt pour nos racines sonores ». Dimanche, c’est donc un pan entier de la mémoire collective qui vibrera sur les ondes, célébrant l’alliance d’une légende vivante et d’une institution médiatique au service du patrimoine commun.