Brazzaville place la plume au service de la santé reproductive
Dans les salons feutrés d’un hôtel du centre-ville, loin de l’effervescence des taxis jaunes qui sillonnent l’avenue de la Paix, une trentaine de reporters et présentateurs radio ont troqué leurs carnets de terrain pour des blocs-notes de formation. À l’invitation du Fonds des Nations unies pour la population, ils consacrent cinq jours à un sujet qui, trop souvent, se faufile à la périphérie de l’actualité : la santé sexuelle et reproductive, ainsi que les violences basées sur le genre. L’atelier, ouvert le 30 juin, vise à doter la presse brazzavilloise d’outils éditoriaux aptes à transformer des données médicales sensibles en récits accessibles, fiables et exempts de stigmatisation. « Mettre un micro ou une caméra au service de la dignité humaine, c’est déjà sauver des vies », glisse une jeune journaliste du quotidien Les Dépêches de Brazzaville, visiblement conquise par la démarche.
Une coalition médiatique et institutionnelle inédite
Le projet se déploie dans un cadre tripartite associant l’UNFPA, les ministères en charge de la communication et de la santé, ainsi que plusieurs organisations de la société civile engagées sur les questions de genre. Pour la représentante résidente de l’agence onusienne, le Dr Agnès Kayitankore, « les médias constituent les poumons d’une opinion publique informée ». Son plaidoyer est clair : ériger l’exigence de données vérifiées, de langage inclusif et de contextualisation en garde-fou contre les discours discriminatoires (UNFPA, 2023). Du côté congolais, les autorités perçoivent dans cette formation un prolongement naturel des initiatives nationales visant à réduire la mortalité maternelle et à promouvoir la planification familiale. Un haut responsable de la Direction de la santé de la mère et de l’enfant rappelle que Brazzaville s’est engagée, lors de la Conférence d’Addis-Abeba sur la population, à faire reculer le taux de grossesses précoces d’ici à 2030. « La presse peut accélérer la dynamique en amplifiant les messages de prévention », insiste-t-il.
Dissiper les tabous : des salles de rédaction aux ondes
Au programme, des modules interactifs sur la contraception moderne, la prise en charge post-viol, ou encore les droits des personnes en situation de handicap. Chaque concept médical est décortiqué, puis mis en situation dans des exercices de storytelling. Les formateurs insistent sur l’impact d’un mot mal choisi : un terme jugé moraliste, et c’est le risque d’éloigner les adolescentes des centres de santé ; une statistique sortie du contexte, et l’on alimente la défiance face aux campagnes vaccinales. « Une information mal formulée peut renforcer la stigmatisation. Un silence médiatique peut légitimer l’invisibilité », répète le Dr Kayitankore, citant des études menées à Kigali et Abidjan qui démontrent la corrélation entre couverture médiatique soutenue et hausse du recours au dépistage VIH.
Éthique, exactitude et impact social au cœur de la ligne éditoriale
Les débats, nourris par les témoignages de survivantes de violences conjugales, débouchent rapidement sur la question de l’éthique journalistique. Comment protéger l’anonymat sans déshumaniser le récit ? Jusqu’où vérifier une source sans l’exposer à de nouvelles menaces ? Les participants révisent les principes de la Charte de Munich tout en partageant des astuces de terrain. Un rédacteur en chef de Radio Mucodec explique avoir instauré, dans sa rédaction, une double vérification croisée entre le desk santé et la rubrique société avant toute diffusion de chiffres relatifs aux IVG. « Au-delà de l’exactitude, c’est l’équité qui prime », martèle-t-il. Les organisateurs saluent cette rigueur, considérant que la portée d’un reportage ne se mesure pas seulement aux clics, mais à sa capacité à susciter des décisions éclairées, que ce soit chez un député en session plénière ou chez un parent de Makélékélé hésitant à consulter une sage-femme.
Des défis persistants entre stéréotypes et accès aux données
Si l’ambition collective est palpable, les obstacles demeurent. Certains correspondants régionaux pointent le manque de statistiques ventilées par district sanitaire, rendant difficile tout fact-checking approfondi. D’autres soulignent la persistance de clichés tenaces, comme l’association automatique entre planification familiale et limitation autoritaire des naissances, idée pourtant contredite par les textes en vigueur. Pour pallier ces lacunes, l’atelier propose la création d’un réseau WhatsApp sécurisé où journalistes et experts médicaux pourront échanger documents et contacts de première main. L’initiative, soutenue par un financement complémentaire de l’Union européenne, devrait faciliter la circulation de l’information factuelle jusque dans les rédactions de Pointe-Noire et d’Owando. « Sans données, nous naviguons à vue », résume une reporter du périodique féminin Mwinda, ravie de voir se constituer ce pont entre savoir académique et exigence médiatique.
Perspectives de long terme pour une génération informée
À l’issue de la session de clôture prévue le 4 juillet, chaque participant repartira avec un guide pratique et, surtout, l’engagement d’intégrer au moins une chronique mensuelle dédiée à la santé reproductive dans sa grille de programme. L’UNFPA prévoit déjà une édition francophone d’un concours de reportage sur les violences de genre, avec un jury mixte composé de représentants gouvernementaux, de chercheurs de l’Université Marien-Ngouabi et de membres de la société civile. En réservant la tribune médiatique à ces thématiques souvent réduites au huis clos familial, Brazzaville illustre un mouvement continental : légitimer la parole des femmes et des jeunes grâce à la puissance de l’information. Si l’on en croit les formateurs, la prochaine grande exclusivité ne sera peut-être plus le résultat d’un match, mais la baisse tangible du taux de grossesses non désirées. À terme, c’est la santé publique tout entière qui pourrait bénéficier de cette écriture plus humaine, et plus responsable, de l’actualité.