Aux sources d’une ambition gouvernementale
Dans l’amphithéâtre principal de la faculté des lettres de l’université Marien-Ngouabi, les mots de la ministre de l’Enseignement supérieur, Delphine Edith Emmanuelle, ont résonné comme un manifeste : « tourner résolument notre regard vers l’avenir ». En annonçant la volonté de créer une université inclusive, le gouvernement congolais inscrit la réforme de l’enseignement supérieur dans une trajectoire assumée de modernisation. L’initiative s’inscrit dans la continuité des orientations présidentielles – 2025 a été proclamée prolongement de l’Année de la jeunesse par le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso –, soulignant la cohérence d’un agenda qui place la jeunesse au cœur du développement national.
Un chantier pédagogique au croisement des attentes sociétales
Le diagnostic dressé par les Assises sur l’employabilité et l’entrepreneuriat des étudiants est connu : inadéquation entre formation et marché du travail, déficit d’innovation pédagogique, et cloisonnement historique de l’espace académique. Les chiffres publiés par le ministère indiquent qu’à peine un tiers des diplômés obtient un emploi stable dans les trois ans suivant la soutenance. Face à cette réalité, l’université inclusive entend décloisonner la formation, adosser les cursus aux besoins réels de l’économie et favoriser l’apprentissage par projets.
« Il ne s’agit pas simplement d’habiller l’ancien système d’un vernis moderne, avertit un enseignant-chercheur en sciences économiques, mais de repenser les programmes à l’aune des compétences recherchées par les entreprises locales et régionales. » Cette exigence se traduit déjà par des partenariats pilotes avec des sociétés des télécommunications et de l’agro-industrie, lesquelles co-construisent des unités d’enseignement et proposent des stages sous convention tripartite.
Des assises, miroir d’une génération avide de solutions concrètes
Pour la première fois, les étudiants ont occupé une place centrale dans la réflexion stratégique. Ateliers de co-design, hackathons, tables rondes avec des start-ups de Makélékélé et de Talangaï : la consultation s’est voulue exhaustive. « Nous ne voulons plus être des spectateurs de notre avenir, nous voulons l’écrire », confie Mireille Mbemba, étudiante en génie industriel. Les propositions issues des débats – intégration systématique d’unités d’entrepreneuriat, tutorat par des alumni, plateforme numérique de suivi de carrière – ont été versées au rapport final, salué par les observateurs internationaux présents, dont l’Agence universitaire de la Francophonie.
Le rôle pivot des dispositifs de financement nationaux
L’une des nouveautés réside dans l’articulation entre réforme académique et soutien financier. Le Fonds d’impulsion, de garantie et d’accompagnement (Figa) et le Fonds national d’appui à l’employabilité et l’apprentissage (Fonéa) constituent désormais les bras armés d’une politique qui associe enseignement et insertion. Le premier facilite l’accès des jeunes entrepreneurs au crédit en couvrant jusqu’à 70 % du risque bancaire ; le second finance des formations certifiantes courtes pour renforcer l’employabilité immédiate des diplômés.
Selon les données du ministère des Finances, plus de 3 milliards de francs CFA ont été engagés en 2023 via ces guichets. « Nous devons garantir que chaque idée porteuse trouve un financement, chaque compétence un débouché », résume un responsable du Figa. Cette logique d’écosystème repositionne l’université comme incubateur de solutions économiques, au-delà de sa mission première de transmission du savoir.
2025, cap symbolique et catalyseur politique
La perspective de 2025 agit comme un horizon fédérateur. L’extension de l’Année de la jeunesse inscrit la réforme universitaire dans un cadre temporel précis, offrant aux parties prenantes un calendrier d’objectifs mesurables. À court terme, il s’agit d’achever la digitalisation des procédures administratives et de lancer les premières licences professionnalisantes co-labellisées par le patronat national. À moyen terme, la feuille de route prévoit l’ouverture d’un campus technologique axé sur l’intelligence artificielle appliquée à l’agriculture, secteur stratégique pour la souveraineté alimentaire du pays.
Du point de vue diplomatique, l’initiative conforte la position du Congo dans les réseaux éducatifs régionaux, notamment au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Les partenariats annoncés avec des universités camerounaises et gabonaises pour des programmes transfrontaliers témoignent de cette volonté de rayonnement.
Une inclusivité qui interpelle la communauté académique internationale
Le concept d’université inclusive interroge au-delà des frontières congolaises. Infrastructures adaptées aux étudiants en situation de handicap, politique d’égalité de genre, accueil d’apprenants issus de zones rurales éloignées : autant de dimensions qui, si elles sont pleinement réalisées, placeront Brazzaville dans la cartographie des campus africains les plus innovants. Le Programme des Nations unies pour le développement souligne d’ailleurs que la démocratisation de l’accès au savoir constitue un levier majeur de croissance durable.
En écho, la Conférence des recteurs d’Afrique centrale suit avec attention l’expérience congolaise. « L’inclusivité n’est pas un slogan, c’est un principe structurant de la société du savoir », rappelle son secrétaire général, estimant que la démarche brazzavilloise pourrait servir de modèle référentiel dans la sous-région.
Perspectives : consolider la promesse inclusive
Les défis demeurent réels : masse critique d’enseignants-chercheurs, infrastructure numérique, alignement des filières techniques sur les standards internationaux. Toutefois, l’élan politique, l’appropriation étudiante et le soutien financier constituent un triptyque solide. Pour nombre d’observateurs, la clé résidera dans la capacité à évaluer régulièrement les résultats et à ajuster les dispositifs sans céder à la tentation bureaucratique.
À Brazzaville, l’optimisme est teinté de pragmatisme. Une doctorante en sociologie le formule ainsi : « L’université inclusive sera crédible si chaque diplômé peut citer, à la remise de son parchemin, l’entreprise ou le projet où il appliquera ses compétences. » Dans l’attente, les chantiers s’ouvrent, les partenariats se tissent et la jeunesse congolaise, forte de la confiance des pouvoirs publics, s’installe peu à peu au cœur de la fabrique nationale du savoir.