Brazzaville redéploie ses ailes régionales
En décollant presque simultanément pour Douala, Yaoundé puis Libreville, Equatorial Congo Airlines a signé, cette semaine, un retour orchestré avec le sens de la mise en scène propre aux grandes heures de l’aviation africaine. L’aéroport Maya-Maya a retrouvé l’effervescence des vols régionaux, ponctuée de salutations protocolaires et de passagers fébriles, comme pour souligner que la parenthèse ouverte en 2016 appartient désormais au passé. « Notre ciel est à nouveau ouvert », a résumé dans le hall des départs Rodrigue Ibara, directeur général adjoint de la compagnie, avant d’insister sur la ponctualité de ces premiers vols, exécutés avec un Boeing 737-700 Nouvelle Génération.
Un carnet de vol arrimé aux impératifs économiques
Avec deux rotations hebdomadaires vers le Cameroun les lundis et vendredis, et deux autres vers le Gabon les samedis et dimanches, ECAir ancre son programme là où la demande est la plus mature. La Banque des États d’Afrique centrale estime à plus de 430 000 le nombre de voyageurs annuels qui empruntent, tous modes confondus, l’axe Brazzaville-Douala-Libreville. En captant une frange de ce trafic, la compagnie entend consolider un modèle d’affaires prudent mais rentable, adossé à la croissance post-pandémie des échanges commerciaux intra-CEEAC. « Le transport aérien ne peut plus être considéré comme une simple dépense, c’est un multiplicateur de PIB », argumente l’économiste Édith Mabika, rappelant que chaque nouveau vol régulier soutient indirectement huit emplois selon l’Organisation de l’aviation civile internationale.
Normes de sécurité et crédibilité institutionnelle
Le redressement d’une compagnie nationale passe souvent par une reconquête de la confiance. ECAir s’est vu délivrer, en avril dernier, un Certificat de Transporteur Aérien validé à la fois par l’Agence nationale de l’aviation civile du Congo et par les inspecteurs de l’Organisation de l’aviation civile internationale. Cet alignement sur les standards mondiaux n’est pas anecdotique : il conditionne l’assurance des appareils, l’accès aux créneaux aéroportuaires étrangers et, in fine, la viabilité de l’entreprise. Dans les salons de Maya-Maya, les commandants de bord rappelent que la flotte a bénéficié d’une révision complète à Addis-Abeba, tandis que les équipages ont renouvelé leurs qualifications sur simulateur à Johannesburg, deux gages supplémentaires d’exigence technique.
Intégration sous-régionale et diplomatie du ciel
Au-delà des considérations commerciales, chaque décollage porte un message politique clair : la libre circulation, principe fondateur de la CEEAC, trouve dans l’aérien un vecteur tangible. En rejoignant Douala et Libreville en moins de deux heures, Brazzaville renoue également avec l’idée d’un corridor économique Atlantique-Congo-Ogooué, pensé de longue date par les ministres des Transports des trois pays. Le ministre congolais, Honoré Nsayi, voit dans cette reprise « un instrument soft-power » permettant de fluidifier la mobilité des entrepreneurs et de rendre attractifs les projets d’infrastructures régionales (Ministère des Transports, 2024). Les chancelleries n’y sont pas insensibles : l’ambassadeur du Cameroun à Brazzaville a salué une « dynamique vertueuse pour la jeunesse et les PME ».
Perspectives : de l’Atlantique au Sahel, un horizon dégagé
La direction d’ECAir confirme qu’un deuxième Boeing 737 pourrait intégrer la flotte avant la fin de l’année afin de sécuriser les dessertes actuelles et d’ouvrir, à moyen terme, Kinshasa, Bangui puis Abidjan. Les analystes y voient la consolidation d’un pôle de correspondance capable de mailler l’Afrique centrale et occidentale, tout en alimentant les grandes compagnies intercontinentales. Selon l’Association des compagnies aériennes africaines, un tel hub régional pourrait réduire de 30 % le coût total du voyage pour les passagers locaux. Plus prosaïquement, les étudiants en mobilité, les commerçants de produits agro-alimentaires et les diasporas y gagneraient en rapidité et en confort. « Nous avançons par paliers, avec une discipline budgétaire stricte et le soutien méthodique de l’État », insiste le président du conseil d’administration, rappelant que le plan de relance repose sur la transparence financière et la digitalisation accrue des ventes via l’application Fly ECAir.
À l’heure où les indicateurs macroéconomiques du Congo se redressent, la compagnie nationale cherche donc moins à se mesurer aux géants du Golfe qu’à remplir une fonction de service public moderne, articulée autour de la connectivité régionale. Le frémissement observé sur les premiers vols donne déjà corps à l’ambition affichée : transformer un pari industriel en vecteur de cohésion sous-régionale et de compétitivité économique. Pour de nombreux passagers, la sensation de retrouver un ciel familier suffit à faire naître un optimisme contagieux dans les travées de l’aéroport Maya-Maya.