Brazzaville donne le ton d’une diplomatie climatique nouvelle
Un peu plus de dix-huit mois après son entrée en vigueur administrative, Proclimat Congo a enfin reçu, dans la salle des actes du ministère de l’Économie, le baptême protocolaire qui manquait à son déploiement. Cette cérémonie, présidée le 16 juin 2025 par le ministre Ludovic Ngatsé, a réuni partenaires techniques, élus locaux et représentants de la société civile. Au-delà du rite institutionnel, l’événement symbolise l’ancrage d’une coopération climatique que Brazzaville entend inscrire dans la durée, à l’heure où l’Afrique centrale cherche à concilier valorisation de ses écosystèmes et diversification économique.
Le choix d’un ministre en charge à la fois de l’économie, du plan et de l’intégration régionale n’est pas anodin : il rappelle que la problématique climatique ne relève plus seulement de la gestion de l’environnement, mais du cœur stratégique du développement national. « Nous abordons désormais la transition verte comme une opportunité de transformation structurelle », a indiqué Ludovic Ngatsé en marge de la rencontre, soulignant un glissement progressif du paradigme de l’aide vers celui du co-investissement.
Une coopération multilatérale à l’épreuve du terrain
Proclimat Congo s’inscrit dans le portefeuille de la Banque mondiale consacré à la résilience, complété par le guichet ProGreen et l’IDA. Cet empilement financier traduit la complexité – mais aussi la complémentarité – des mécanismes de l’institution de Washington. Au total, 132 millions USD seront consacrés au Congo : 70 millions par la BIRD sous forme de prêt concessionnel, 12 millions via un don ProGreen et 50 millions issus de l’IDA. La répartition des risques, des taux et des modalités de remboursement témoigne d’une ingénierie mixte qui sécurise le budget de l’État tout en garantissant la soutenabilité de l’enveloppe.
La Banque mondiale voit dans ce dispositif un laboratoire régional. « La faculté d’articuler finance verte, participation communautaire et renforcement des capacités locales fait déjà école dans le Bassin du Congo », a déclaré un de ses représentants, évoquant les échanges techniques en cours avec le Gabon et la République démocratique du Congo. L’appropriation locale, cependant, restera l’ultime juge de paix : le succès du programme dépendra de la capacité des administrations départementales à absorber les fonds et à fédérer les producteurs ruraux autour de projets rentables, sobres en carbone et socialement inclusifs.
Des chiffres révélateurs d’un engagement financier inédit
Selon la cellule de coordination, quelque 562 000 personnes – soit l’équivalent de la population d’un département de taille moyenne – devraient bénéficier directement ou indirectement des six composantes du projet. L’accent est mis sur les femmes et les jeunes, acteurs clés de l’économie vivrière. En termes budgétaires, près de 38 % des fonds sont fléchés vers la diversification agricole et l’appui aux chaînes de valeur, tandis que 25 % concerneront la protection des forêts, le reste se partageant entre infrastructures résilientes, développement des marchés carbone et pilotage institutionnel.
La méthodologie adoptée combine des indicateurs de résultat – hectares de terres restaurées, emplois créés, revenus agricoles supplémentaires – et des indicateurs de processus tels que le pourcentage de projets portés par des femmes ou le délai moyen de décaissement. Cette double approche, saluée par plusieurs économistes du développement, devrait garantir un suivi à la fois quantitatif et qualitatif, limitant les risques de dispersion budgétaire.
Des actions déjà palpables dans les départements ruraux
Bien avant la pose officielle du logo Proclimat sur les kakemonos, plusieurs initiatives pilotes ont vu le jour dans la Likouala, la Sangha et le Niari. Il s’agit notamment de la réhabilitation de pistes agricoles critiques pour l’évacuation du cacao et du manioc, de l’installation de séchoirs solaires mutualisés et d’un programme de micro-crédits zéro intérêt destiné aux groupements féminins. Ferdinand Sosthène Likouka, président du projet, a détaillé ces actions en soulignant « l’imbrication volontaire des dimensions sociale, sanitaire et territoriale », gage d’une résilience globale plutôt que sectorielle.
Cette logique holistique a d’ailleurs convaincu plusieurs partenaires locaux, à l’instar de l’Université Marien-Ngouabi, d’apporter leur expertise en agro-météorologie et en économie forestière. La synergie entre recherche et terrain permet de tester des variétés de semences tolérantes à la sécheresse tout en préservant la biodiversité. Pour de nombreux agronomes, l’enjeu est de passer d’une agriculture extensive, souvent vulnérable aux aléas, à des modèles plus intensifs en connaissances qu’en superficie, capables de maintenir la fertilité des sols.
Un modèle associant finance verte, participation citoyenne et équité
Le ministre Ngatsé l’a martelé : « Proclimat n’est pas un projet de plus, il est l’expression concrète de notre engagement national en faveur de la justice sociale. » Derrière la formule, une volonté claire de démontrer que les questions climatiques ne se limitent pas à la protection des forêts mais touchent directement à l’équilibre socio-économique. Les audits de vulnérabilité réalisés dans les villages pilotes confirment que les chocs climatiques accroissent les inégalités ; d’où l’intégration systématique d’actions génératrices de revenus dans les plans d’adaptation.
La création de comités de suivi incluant chefs coutumiers, associations de femmes et conseils locaux de la jeunesse vise à instituer une gouvernance partagée. Les décisions relatives à l’utilisation des subventions – choix des sites de reboisement, montage des marchés hebdomadaires, calendrier des formations – sont prises en séance publique. Ce mécanisme renforce la redevabilité et peut, à terme, réduire les frictions parfois observées dans les projets de développement exogènes.
Cap sur 2028 : gouvernance, suivi et appropriation communautaire
À trois ans de son terme, le projet se sait attendu sur sa capacité à livrer des résultats mesurables. Le calendrier prévoit un pic de décaissements en 2026-2027, période charnière où les infrastructures rurales devront être achevées et les premiers crédits carbone validés. Les experts insistent sur l’importance de consolider les systèmes de suivi-évaluation afin d’éviter l’effet « queue de comète » fréquent en fin de projet. La mise en place d’un tableau de bord accessible au public constituerait, selon plusieurs analystes, un outil pertinent pour maintenir la pression vertueuse sur les parties prenantes.
À plus long terme, l’enjeu sera de pérenniser les acquis institutionnels. Les compétences transférées aux administrations départementales – planification budgétaire, cartographie des risques, passation de marchés – devront survivre à la clôture des financements. Pour le Congo, la crédibilité acquise auprès de la Banque mondiale pourra servir de levier dans la prospection d’autres mécanismes – fonds verts, obligations durables ou partenariats Sud-Sud –, consolidant ainsi une stratégie de développement résolument climato-compatible.