Un jumelage culturel qui prend le large
Lorsque Brazzaville et Dresde ont officialisé leur partenariat il y a une décennie, l’ambition affichée dépassait le simple protocole d’amitié. Les deux municipalités, conscientes du potentiel pédagogique et diplomatique de la création contemporaine, ont inscrit la mobilité des artistes au cœur de leur feuille de route. La résidence « Entre le Congo et l’Elbe : un dialogue entre les fleuves », soutenue par les Ateliers Sahm, le Goethe-Institut, Zentralwerk e.V. et les services culturels des deux villes, s’inscrit dans ce sillage. Elle matérialise l’idée qu’une œuvre peut devenir un trait d’union plus puissant que bien des discours institutionnels.
Ralff, un itinéraire artistique de Brazzaville aux rives de l’Elbe
Né à Pointe-Noire et formé à la photographie dans la capitale congolaise, Therance Ralff Lhyliann s’est rapidement révélé comme l’un des jeunes visages de la scène visuelle urbaine. Des séries documentaires sur les marchés de Talangaï aux performances lumineuses réalisées dans des friches industrielles, son regard se distingue par une maîtrise singulière de la narration chromatique. « Je travaille la lumière comme un sculpteur travaille l’argile », confie-t-il, soulignant son désir d’élargir continuellement son spectre créatif. Cette quête l’a mené vers la vidéo expérimentale et le design sonore, deux disciplines qu’il entend fusionner à Dresde afin de donner voix aux habitants des bords de l’Elbe.
La dimension multimédia : une écriture aux sources plurielles
À première vue, la distance géographique entre le majestueux fleuve Congo et l’Elbe germanique pourrait décourager toute analogie. Pourtant, c’est précisément cet écart que la résidence souhaite explorer. Ralff projette de collecter des souvenirs oraux de riverains réticents à être photographiés, avant de les traduire en installations sonores. Le dispositif est pensé comme un laboratoire sensoriel : images fixes grand format, projections immersives et pistes audio synchronisées dans l’espace d’exposition. « L’idée n’est pas de survoler la ville en touriste, mais de m’enraciner dans la mémoire des lieux », explique l’artiste, rappelant que la photographie contemporaine ne se limite plus à la captation visuelle mais s’étend vers l’expérience totale.
Birgit Schuh, le regard allemand à Brazzaville
Avant le départ de Ralff pour la Saxe, la plasticienne et architecte allemande Birgit Schuh séjournera à Brazzaville en septembre-octobre. Son travail, très ancré dans la cartographie sensible et l’urbanisme participatif, l’orientera vers les rives du Congo où elle collectera traces hydrographiques et fragments de mémoire urbaine. Le dialogue anticipé entre leurs deux démarches nourrit déjà un corpus d’esquisses partagées en ligne. Pour Arlette Fratani, fondatrice des Ateliers Sahm, cette réciprocité « crée un miroir où chaque artiste s’explore en explorant l’autre », renforçant la dimension collaborative du programme.
Une coproduction transnationale aux retombées locales
La réussite d’un tel projet repose sur une architecture partenariale solide. Le financement, réparti entre les municipalités, le Goethe-Institut et des mécènes privés, couvre voyages, per diem, matériel et diffusion. À Brazzaville, des workshops seront proposés à de jeunes photographes issus du quartier de Bacongo, tandis qu’à Dresde une table ronde sur le rôle des fleuves dans la construction des identités urbaines réunira universitaires et responsables culturels. Selon Roger Nianga, conseiller municipal délégué à la culture, « chaque centime investi dans la circulation des idées revient multiplié, car il nourrit l’imaginaire collectif et dynamise l’économie créative ».
Des perspectives durables pour la scène congolaise
Au-delà de la visibilité individuelle que Ralff et Birgit retireront de l’exposition finale, la résidence contribue à structurer un réseau pérenne entre espaces alternatifs, institutions et acteurs privés. Le label « Made in Brazzaville », lancé cette année par un groupe de galeristes, bénéficiera d’un apport d’expertise sur la logistique d’expositions internationales. Par ailleurs, un fonds d’archives numériques retraçant l’ensemble du processus créatif sera mis à disposition des chercheurs en histoire de l’art des deux continents, assurant la traçabilité du projet pour les générations futures.
Entre deux fleuves, un horizon commun
À l’heure où la diplomatie culturelle s’impose comme un levier de développement, la résidence « Entre le Congo et l’Elbe » illustre la capacité des artistes à faire circuler les imaginaires plus vite que les marchandises. Les deux fleuves ne se rencontreront jamais, mais leurs histoires s’entrelaceront dans un récit visuel et sonore promis à voyager bien au-delà des salles d’exposition. En portant la parole de ceux qui vivent au rythme de l’eau, Ralff et Birgit rappellent que la création contemporaine, loin d’être un luxe, constitue un outil d’observation lucide et de cohésion silencieuse. Au terme de cette traversée, les deux rives auront gagné un pont que seul l’art pouvait ériger.