Brazzaville redonne de l’altitude à son pavillon national
À la mi-2024, la silhouette blanche et verte d’un Boeing 737 flanqué du logotype d’Equatorial Congo Airlines s’est de nouveau élevée dans le ciel de Maya-Maya. Suspendues depuis plusieurs années, les liaisons régionales ont repris avec une triade de destinations : Libreville, Douala et Yaoundé. Si la scène rappelle les heures fastes de l’ancienne compagnie Air Congo, elle répond surtout à une nouvelle doctrine : faire de l’avion un accélérateur d’intégration sous-régionale.
« Notre mission ne se limite pas à vendre des billets ; nous reconnectons des capitales qui partagent une histoire et des intérêts communs », a insisté le président d’ECAir, Célestin Okemba, lors du vol inaugural. Derrière la formule se lit la volonté, soutenue par l’État, de replacer Brazzaville dans la cartographie aérienne d’Afrique centrale, bousculée par la crise sanitaire et la concurrence des transporteurs étrangers.
Un calendrier de reprises calibré sur la CEMAC
La sélection des premières escales ne doit rien au hasard. Libreville, Douala et Yaoundé concentrent à la fois des sièges institutionnels de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale et des corridors commerciaux majeurs, notamment pour le bois, les services et l’industrie pétrolière. En reliant ces trois nœuds, ECAir se positionne comme l’épine dorsale aérienne d’un marché commun qui représente près de 55 millions d’habitants.
Ce maillage répond également aux orientations de la Zone de libre-échange continentale africaine, dont le succès dépendra, rappellent les économistes, de la disponibilité de liaisons directes rapides. Les rotations bihebdomadaires annoncées par la compagnie devraient ainsi réduire de moitié les temps de trajet actuels, trop souvent tributaires de correspondances lointaines via Addis-Abeba ou Casablanca.
Des retombées économiques attendues pour les métropoles riveraines
Les autorités congolaises misent sur un effet multiplicateur : chaque vol régulier vers une capitale voisine pourrait, selon le ministère des Transports, générer à court terme jusqu’à 1,5 milliard de francs CFA de valeur ajoutée dans les services aéroportuaires, le tourisme d’affaires et la logistique. À Brazzaville, les hôteliers saluent déjà un rebond de 12 % des réservations provenant du Gabon depuis l’ouverture des ventes.
À Libreville, l’Office national du tourisme anticipe une hausse des séjours courts, tandis que les chambres de commerce de Douala et de Yaoundé comptent sur une offre cargo complémentaire pour fluidifier l’acheminement de produits périssables. « L’aviation n’est pas qu’une question de prestige ; c’est un catalyseur tangible pour les chaînes de valeur régionales », souligne l’économiste camerounais André Manga.
La flotte, levier stratégique et symbole de souveraineté
ECAir table sur trois monocouloirs de nouvelle génération, configurés en bi-classe, pour absorber le regain de demande. La direction a confirmé des négociations avancées avec un constructeur européen pour la location-acquisition de deux appareils supplémentaires, portant potentiellement la flotte à cinq unités en 2025. Cette dimension matérielle est décisive : elle conditionne la ponctualité, la régularité des fréquences et, in fine, la crédibilité de la compagnie auprès des agences de voyage internationales.
Au-delà du simple outil, l’avion demeure un vecteur de souveraineté. Dans un marché dominé par quelques géants continentaux, disposer d’un pavillon national robuste renforce la position du Congo dans les forums aéronautiques et sous-tend la négociation des droits de trafic bilatéraux, essentiels pour attirer les investisseurs vers les zones économiques spéciales de Pointe-Noire et d’Oyo.
Normes internationales, l’exigence de crédibilité
La renaissance d’ECAir s’appuie sur l’agrément IOSA de l’IATA et sur l’audit de maintenance délivré par l’agence européenne EASA, gages indispensables pour convaincre les voyageurs d’affaires souvent échaudés par la réputation disparate du ciel africain. L’adhésion active à l’Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA) place la compagnie dans un réseau d’échanges techniques, tandis que la coopération avec l’École africaine de l’aviation civile de Lomé permet de former une nouvelle génération de pilotes et d’ingénieurs congolais.
« Aucun développement commercial n’est durable sans sécurité perçue », rappelle Kapinga Diop, consultante aéronautique sénégalaise, évoquant la discipline mise en place pour la gestion du carburant et la formation récurrente des équipages. Ce socle réglementaire offre à ECAir la marge nécessaire pour négocier à terme des code-shares avec de grands transporteurs, stratégie déjà esquissée avec Ethiopian Airlines.
Cap sur l’Ouest africain, horizon d’une diplomatie économique
L’étape Libreville-Douala-Yaoundé n’est qu’un jalon. Le plan stratégique 2024-2027 évoque Abidjan, Cotonou et Lagos comme futures portes d’entrée vers l’Afrique de l’Ouest. L’objectif est double : élargir la clientèle au-delà du bassin congolais et accompagner la diplomatie économique de Brazzaville, qui intensifie ses échanges avec la CEDEAO dans l’énergie et l’agro-industrie.
D’ici là, la consolidation du réseau régional devra faire ses preuves en matière de rentabilité. Les vols d’ECAir affichent un taux de remplissage moyen de 74 % depuis leur reprise, soit dix points au-dessus du seuil estimé de break-even. Ce résultat, obtenu en moins de deux mois, nourrit l’optimisme du management et conforte l’État actionnaire dans sa stratégie de soutien ciblé, tempérée par une obligation de transparence budgétaire désormais exigée par les partenaires financiers internationaux.