Au gré du fleuve : un nouveau chapitre du partenariat cinquantenaire
Au sortir de la saison sèche, l’avenue des Trois-Martyrs s’est de nouveau colorée des drapeaux écarlates et verts. Le 29 juin, l’ambassadrice de la République populaire de Chine, An Qing, a foulé le tarmac de Maya-Maya, inaugurant la dix-septième mission diplomatique chinoise au Congo depuis 1964. Trois jours plus tard, son entretien avec le président du Sénat, Pierre Ngolo, a confirmé que la relation bilatérale, déjà qualifiée de « stratégique et globale » par les deux chefs d’État, entre dans une phase de consolidation après les turbulences géopolitiques et sanitaires des dernières années.
À l’issue de l’audience, la diplomate a souligné un échange « capital et chaleureux », accentuant sur la vocation « interparlementaire » du dialogue. Derrière la courtoisie protocolaire perce une réalité plus technique : Pékin et Brazzaville souhaitent synchroniser leurs législations pour fluidifier les investissements, faciliter les visas d’affaires et harmoniser les normes sanitaires, autant de leviers décisifs pour un partenariat tourné vers la reconstruction économique post-Covid.
Le passage de témoin : hommage et continuité après Li Yan
La nomination d’An Qing intervient après la disparition, le 2 mars 2025, de son prédécesseur Li Yan, personnalité appréciée dans la capitale pour son engagement dans les programmes de santé publique. Aux yeux des observateurs, l’arrivée de la nouvelle ambassadrice confirme la volonté de Pékin de préserver, voire d’amplifier, les acquis de la décennie précédente. « Il n’y aura ni pause ni ralentissement », confie un diplomate congolais proche du dossier, rappelant que plus de 60 % des grands chantiers d’infrastructures routières et énergétiques en cours sont encadrés par des financements ou une ingénierie chinoise.
Pour Brazzaville, cette continuité est stratégique : les partenariats construits autour du port en eau profonde de Pointe-Noire, du corridor routier RN1 et du futur pont route-rail sur le fleuve Congo demeurent essentiels au désenclavement et à la diversification économique du pays. An Qing, qui a servi naguère à Addis-Abeba et à Abuja, apporte un carnet d’adresses panafricain susceptible d’ancrer la diplomatie congolaise au sein des initiatives continentales portées par la Chine, telles que la Zone de libre-échange et l’Initiative pour le développement mondial.
Brazzaville et Pékin : le dialogue parlementaire comme boussole
Au-delà de la dimension exécutive, la rencontre avec le président du Sénat traduit un recentrage sur la gouvernance. Depuis la révision constitutionnelle de 2015, le Parlement congolais dispose d’un droit de regard accru sur les conventions internationales. Pékin, qui a multiplié les échanges institutionnels avec les Assemblées d’Afrique de l’Est, ajuste donc sa méthodologie : les commissions mixtes, jusque-là cantonnées aux ministères techniques, s’ouvrent désormais aux élus, gage de transparence budgétaire et de légitimité politique.
Pierre Ngolo a rappelé que « la coopération ne se résume pas aux grues et aux bulldozers ; elle s’enracine aussi dans le contrôle démocratique des politiques publiques ». De son côté, An Qing a dit souhaiter la mise en place d’un « mécanisme annuel de concertation législative », proposition saluée par plusieurs sénateurs qui y voient une opportunité de renforcer la diplomatie parlementaire du Congo.
Axes prioritaires : infrastructures, santé et capital humain
Selon le ministère congolais de l’Économie et du Plan, le portefeuille des projets sino-congolais avoisine 3 milliards de dollars, dont une part croissante dédiée aux infrastructures sociales. L’hôpital général de spécialités de Kintélé, inauguré en 2023, illustre ce glissement vers le secteur sanitaire qui figurera, confie une source diplomatique, « en tête de la feuille de route ». L’ambassadrice envisage également d’intensifier le financement de centres de formation professionnelle, à l’heure où 60 % de la population congolaise a moins de 25 ans.
Les discussions portent en outre sur l’extension de la deuxième phase de la fibre optique Backbone 1, essentielle pour positionner Brazzaville comme hub numérique régional. « Nous entrerons bientôt dans une économie de la connaissance, annonce un conseiller au cabinet du Premier ministre ; la Chine propose un transfert de compétences accompagné d’un soutien à l’incubation de start-ups. » L’équation sera cependant ardue : il s’agira de garantir la durabilité financière des prêts tout en maintenant la souveraineté technologique du Congo.
Vers une feuille de route 2025-2030 : enjeux et perspectives
La perspective d’un document programmatique étalé sur cinq ans, évoqué par An Qing, traduit la volonté des deux partenaires de passer d’une logique de projets à une logique de résultats. Parmi les chantiers cités figure la valorisation agricole des plateaux Batéké, dossier sensible car il touche à la sécurité alimentaire et à l’emploi rural. Le ministre congolais de l’Agriculture, Paul Valentin Ngobo, voit dans l’expertise agronomique chinoise un levier pour doubler la production de manioc et réduire les importations de riz.
Dans le même élan, la question environnementale gagne du terrain. La Chine, signataire de l’Accord de Paris, appuie déjà le projet de corridor écologique Maya-Maya – Maloukou. Les autorités congolaises comptent mettre en avant la valeur stratégique de la forêt du Bassin du Congo pour attirer des financements verts, tandis que Pékin y voit l’occasion de promouvoir son initiative « la Ceinture et la Route verte ».
Sur le plan symbolique, l’Exposition universelle de Shanghai de 2030 constitue une échéance à laquelle Brazzaville souhaite présenter un pavillon axé sur les technologies durables et la musique congolaise. Un diplomate chinois confirme que des discussions sont ouvertes pour un accompagnement logistique et artistique. « Le soft power culturel complète le socle économique », observe un chercheur de l’Université Marien-Ngouabi, rappelant l’engouement des étudiants pour les bourses d’échange vers Wuhan ou Pékin.
Un horizon partagé malgré les incertitudes géopolitiques
Dans un contexte international marqué par l’essor des tensions commerciales, Brazzaville et Pékin misent sur la stabilité de leur relation. Les autorités congolaises, saluant la « vision d’amitié sincère » du président Denis Sassou Nguesso, entendent capitaliser sur la complémentarité économique des deux pays. La Chine, première importatrice de pétrole congolais, recherche de son côté la sécurisation d’approvisionnements stratégiques, mais également des débouchés pour ses entreprises de travaux publics.
Aux yeux de nombreux observateurs, la capacité d’An Qing à impulser une coopération plus inclusive, impliquant société civile, universités et secteur privé local, constituera l’indicateur clé de succès. « La diplomatie est un marathon, pas un sprint », rappelle un ancien ministre des Affaires étrangères. Tout porte à croire que la nouvelle ambassadrice, forte d’un parcours qui allie rigueur académique et pragmatisme de terrain, s’apprête à tenir le rythme, dans l’intérêt convergent des deux capitales.