Brazzaville se recueille autour d’une icône de la rumba
Le soleil s’était déjà assombri sur Moungali lorsque la capitale a tiré sa révérence à Mesmin Gonzague Matouridi, disparu le 23 mai 2025 à l’âge de soixante-dix ans. Devant la demeure familiale, les percussions atténuées et les voix émues d’anciens compagnons ont dessiné une atmosphère d’une rare solennité. La messe de requiem célébrée à l’église Jésus Ressuscité et de la Divine Miséricorde du Plateau des Quinze Ans a réuni parents, artistes, membres de la société civile et représentants des autorités culturelles, reflétant l’attachement collectif à cette figure discrète mais déterminante de la scène musicale urbaine.
Un parcours forgé dans les ruelles chantantes de Moungali
Né en 1954 dans ce Moungali bruissant de chœurs d’enfants, Matouridi s’initie très tôt aux chants polyphoniques qui résonnent aux abords des maisons crépies. Selon Gérard Kimbolo, cofondateur de l’orchestre Les Anges, « il suffisait d’entendre la chaleur métallique de sa deuxième voix pour deviner l’éclosion d’un interprète de premier plan ». L’adolescent franchit rapidement les frontières des groupes vocaux de quartier, s’essayant tour à tour chez Les Intimes, Les Zoulous, puis Mondenge. À chaque étape, il perfectionne un sens aigu du rythme, s’appropriant simultanément la danse et la présentation scénique, un trépied artistique rare chez les jeunes musiciens d’alors.
Les Anges et Congo All Stars : l’art de fédérer les talents
Lorsqu’il rejoint Les Anges au début des années 1970, le futur chef d’orchestre impose doucement sa marque. Sous l’œil bienveillant d’Abel Malanda, alias « Ya Landa », il passe les tests d’intégration, puis multiplie les tournées en Bulgarie, en Guinée ou encore au Sénégal. « Il maîtrisait tous les tiroirs de l’orchestre », se rappelle Kimbolo, soulignant la polyvalence du chanteur, compositeur, danseur et, à l’occasion, maître de cérémonie. Après la dissolution des Anges, Mesmin reprend le flambeau en créant Congo All Stars, formation conçue comme un pont générationnel et géographique entre les vieux routiers de la rumba et la nouvelle vague afro-urbaine friande de rythmes transcontinentaux.
Une signature musicale tournée vers la tradition
Derrière le musicien de scène se cache un auteur à la plume résolument ancrée dans la mémoire collective. Ses compositions, à l’image de « Nao ku ntanga mbila » ou « Ndenge nini mokili ezali boye », puisent dans la langue et l’imaginaire kongo pour questionner, parfois avec une tendre ironie, la marche du monde. Son sens mélodique, ancré dans les déclinaisons pentatoniques du terroir, se doublait d’un art consommé du conte, faisant de chaque titre une saynète vivante où la guitare séchait les larmes et invitait à la danse. Rares sont les artistes de sa génération à avoir gardé, comme lui, la fibre du chant choral sans se soustraire à l’électricité moderne.
La diplomatie culturelle congolaise à l’honneur
Le cortège funéraire a été marqué par la présence de représentants du ministère de l’Industrie culturelle, venus saluer la mémoire d’un homme qui, plusieurs décennies durant, a fait rayonner la rumba congolaise au-delà des frontières nationales. De Sofia à Conakry, Matouridi portait haut les couleurs de Brazzaville, contribuant, par la simple majesté d’une ligne de chant, à ce que la diplomatie culturelle congolaise consolide sa réputation de douceur et d’hospitalité. Ceux qui ont suivi ses tournées se souviennent de sa capacité à broder un vocabulaire musical accessible, facilitant un dialogue sans traducteur entre les publics les plus divers.
Témoignages d’une génération qui se retire sans bruit
Pour Jocelyn Pierre-Rodolphe Miakassissa, alias « Djoce », compagnon de route depuis l’aventure des Intimes, la disparition de Matouridi signe aussi l’effacement progressif d’une génération qui a façonné l’identité sonore de Brazzaville à l’orée des années 1970. « Nous avons vu naître les orchestres amateurs, puis la guitarisation tous azimuts du quartier. Mesmin avait ce don rare d’unir les voix comme un maître de chœur », confie-t-il, le regard embué. L’homme, dit-on, était devenu un « nzonzi », cette expression populaire qui désigne les piliers de la convivialité, garants de la cohésion sociale dans le tissu urbain.
L’héritage, entre mémoire vivante et archives sonores
Au cimetière de Wayako, la dernière poignée de terre est tombée sur le cercueil tandis que résonnait, sur un magnétophone d’époque, la ritournelle de « Ba ya kaka na pasi na mawa ». Cette scène témoigne de la volonté de sauvegarder un héritage qui, à défaut d’avoir été systématiquement archivé, reste gravé dans les sillons des vinyles, les bandes nagra d’antan et, surtout, dans la mémoire affective de milliers de Brazzavillois. Déjà, plusieurs collectifs d’artistes envisagent de numériser les enregistrements rares du musicien afin de les rendre accessibles aux plateformes de streaming locales, un projet soutenu par les autorités culturelles qui y voient un outil de transmission intergénérationnelle.
Une page se tourne, la rumba poursuit son voyage
Au-delà du deuil, le destin de Mesmin Matouridi rappelle la résilience d’une rumba congolaise toujours capable de se réinventer sans renier ses racines. En offrant au public un répertoire à la fois enraciné et voyageur, l’artiste aura ménagé un pont entre tradition et modernité, démontrant que la création musicale demeure un vecteur de cohésion nationale. Tandis que les notes de guitare se dissipent dans l’air humide de Madibou, Brazzaville sait que la voix de Matouridi continuera de vibrer dans le brouhaha des ngandas et sur les scènes des quartiers, rappelant à tous que la musique, même dans le silence du tombeau, ne connaît jamais de fin.