Un chantier urbain qui s’inscrit dans la durée
Depuis plusieurs semaines, les bulldozers sillonnent certains couloirs stratégiques de Brazzaville, symbole visible d’une campagne de déguerpissement que le gouvernement qualifie de « nécessaire pour la salubrité et la sécurité publiques ». L’initiative, annoncée lors du dernier conseil de cabinet par le ministre en charge de l’Aménagement du territoire, vise prioritairement les constructions précaires érigées sur les axes de drainage, les emprises ferroviaires ou les abords immédiats des routes nationales. Les autorités défendent une démarche graduée : information, concertation, puis action mécanique. « La capitale ne peut pas se développer sur des fondations aléatoires », résume un communiqué officiel, rappelant les inondations meurtrières de la saison 2022 qui avaient mis en lumière les zones les plus vulnérables.
Dans les artères populaires, la pédagogie avant la pelle
Au marché Total de Bacongo comme au terminus de Talangaï, les agents municipaux déploient hauts-parleurs et fiches explicatives. L’objectif est de persuader plutôt que de contraindre, affirme Mme Ophélie Ndinga, directrice de la Police municipale, pour qui « la sensibilisation demeure notre première arme ». Des réunions de quartier, appuyées par les chefs de secteur, détaillent les indemnisations possibles et les solutions temporaires de relogement. Si certains commerçants redoutent une perte de revenus, d’autres saluent une initiative susceptible d’élargir la chaussée et de fluidifier la circulation. L’ambivalence se lit sur les visages : espoir d’un environnement plus sain, inquiétude d’un quotidien chamboulé.
La sécurité publique comme fil conducteur officiel
L’argument sécuritaire occupe le devant de la scène. Les services de protection civile recensent plus de trois cents sinistres liés à l’occupation anarchique des collecteurs d’eaux pluviales sur les douze derniers mois. Le colonel Paul Odzala, coordinateur du Centre national de gestion des catastrophes, rappelle que « chaque saison de pluies coûte des vies lorsque les exutoires naturels sont obstrués par des kiosques ou des baraques ». Les déguerpissements visent donc à prévenir autant qu’à corriger. Sur le plan juridique, l’opération s’appuie sur la loi 3-2009 relative à l’urbanisme, laquelle établit la primauté de l’intérêt général sur l’appropriation individuelle d’espaces publics.
Des retombées économiques en débat
Le démantèlement des échoppes improvisées soulève toutefois des questions économiques sensibles. Selon la Chambre de commerce de Brazzaville, près de quarante pour cent du petit commerce informel vit de ces implantations. Le professeur d’économie urbaine Michel Oko nuance : « À moyen terme, un environnement assaini attire l’investissement formel, génère plus d’emplois stables et augmente la recette fiscale de la municipalité ». Les autorités annoncent la création d’espaces marchands normalisés sur les terrains libérés, mêlant kiosques standardisés, points d’eau et éclairage public, pour transformer un choc initial en opportunité structurelle.
Témoignages d’habitants entre adhésion et prudence
Derrière la station essence de Moungali, Florence, mère de trois enfants, observe le marquage rouge fraîchement peint sur la palissade de sa maison. « On nous a donné deux semaines pour déplacer la toiture qui dépasse l’alignement », confie-t-elle, tout en saluant l’idée d’un trottoir plus large pour la sécurité des écoliers. À l’autre bout de la ville, au Plateau des 15 Ans, Arsène, vendeur de téléphones reconditionnés, s’inquiète : « Je ne sais pas si le nouveau site marchand aura le même passage ». Ces récits contrastés traduisent une acceptation graduée, nourrie par le besoin d’informations claires et de garanties concrètes.
Expertises croisées pour une vision métropolitaine
Les urbanistes locaux insistent sur la dimension planificatrice de l’opération. Léonie Malonga, consultante auprès de l’Agence de développement des Grands Centres, juge que « la requalification des espaces publics doit s’articuler avec des transports collectifs performants et une politique de logement abordable ». Des partenariats sont en discussion avec la Banque de développement des États de l’Afrique centrale pour financer des voies de desserte et des bassins de rétention. La municipalité mise également sur les start-ups congolaises du numérique pour cartographier en temps réel les zones libérées, afin de réduire le risque de réoccupation sauvage.
Vers une capitale plus résiliente et inclusive
À l’issue de la phase actuellement en cours, le comité interministériel projette un bilan public assorti de recommandations. Les premières tendances laissent entrevoir une amélioration de la circulation et une baisse des points noirs sanitaires. Reste la nécessité d’accompagner les ménages les plus fragiles afin d’éviter que le déguerpissement ne se traduise par une simple migration des précarités vers la périphérie. Les mairies d’arrondissement évoquent ainsi des initiatives de micro-crédit et de formation, pour transformer les espaces libérés en pôles d’activités formelles. L’enjeu, selon le sociologue Urbain Mabiala, « est de prouver que la modernisation peut rimer avec inclusion sociale ». Le pari d’une Brazzaville plus résiliente repose sur cette dialectique subtile entre fermeté réglementaire et soutien solidaire.