Un choc pour la communauté éducative de Brazzaville
Au lendemain de l’assemblée générale extraordinaire tenue par l’Association des parents d’élèves et étudiants du Congo, le climat dans les cours de récréation de la capitale reste marqué par un mélange de stupeur et de vigilance. « Nous pensions avoir tout vu, mais l’affaire que nous découvrons aujourd’hui heurte notre conscience collective », confie, d’une voix posée, Christian Grégoire Epouma, président national de l’APEEC. Il fait référence aux allégations de pédophilie visant un enseignant de sciences de la vie et de la terre d’un établissement privé ainsi qu’aux soupçons de fraude liés aux frais d’inscription aux examens d’État. La convergence de ces deux dérives, l’une criminelle et l’autre financière, provoque une onde de choc dans les familles brazzavilloises, soucieuses de la sécurité physique et morale de leurs enfants.
Les griefs détaillés : pédophilie et fraude aux inscriptions
Selon le communiqué final, c’est la plainte d’une famille habitant le quartier Massengo qui a déclenché l’indignation. Leur fils de quinze ans, scolarisé en classe de sixième, accuse son professeur de « pratiques ignobles » perpétrées dans l’enceinte d’un complexe scolaire privé. Tandis que la justice s’est saisie du dossier, l’APEEC réclame une « prise en charge psycho-clinique diligente » pour l’élève et la traduction immédiate du mis en cause devant les tribunaux. Dans le même texte, l’association pointe un second travers : des promoteurs d’écoles auraient encaissé les frais d’inscription au baccalauréat sans inscrire les candidats. « Des parents se sont endettés pour rien, et leurs enfants se retrouvent exclus des listes officielles », raconte Mireille Matouba, mère d’une élève de terminale, rencontrée aux abords du lycée Pierre-Savorgnan de Brazza. Derrière la colère, c’est la confiance dans l’institution scolaire qui vacille.
Une réponse parentale structurée et exigeante
Sur un ton ferme, l’APEEC exige des sanctions exemplaires, s’appuyant notamment sur l’arrêté n°3949 du 26 mai 2017 qui prévoit des poursuites pénales en cas de fraude. « Les parents ne demandent pas la lune », martèle M. Epouma. « Ils réclament simplement l’application de textes déjà en vigueur. » Au-delà du discours, l’association souhaite mettre en place un observatoire citoyen, composé de juristes bénévoles et de psychologues, chargé de recueillir les plaintes et de dialoguer avec les autorités éducatives. De l’avis de plusieurs analystes, cette structuration nouvelle des parents pourrait compléter efficacement l’action publique, en apportant un relais de terrain indispensable pour détecter et documenter les abus.
Le cadre réglementaire entre attentes et application
Le système congolais de l’enseignement privé est régi par le décret 96-221 du 13 mai 1996, complété par diverses circulaires encourageant la transparence financière. Le ministère de l’Enseignement préscolaire, primaire, secondaire et de l’alphabétisation rappelle d’ailleurs, dans une note publiée le mois dernier, que « toute perception de frais non justifiée expose son auteur à des poursuites ». Les fonctionnaires chargés de la tutelle affirment multiplier les inspections inopinées, soulignant un « taux de conformité en nette progression » sur les trois dernières années. Toutefois, la dispersion géographique des écoles et la croissance rapide du secteur privé compliquent le suivi. Pour le sociologue Urbain Ntoutoume, spécialiste de la gouvernance scolaire, « l’enjeu n’est pas de changer les normes mais de renforcer les mécanismes d’audit et de contrôle citoyen ».
Le regard des spécialistes de la protection de l’enfance
Le docteur Clarisse Moukassa, pédopsychiatre à l’hôpital de Talangaï, insiste sur la nécessité d’une prise en charge holistique des victimes. « L’enfant traumatisé doit bénéficier d’un accompagnement continu, pas seulement d’une consultation ponctuelle », explique-t-elle, évoquant l’importance de thérapies familiales et scolaires. Elle salue la réactivité des services sociaux qui, dès la révélation de l’affaire, ont dépêché une équipe mobile auprès de l’établissement concerné pour évaluer l’environnement psychologique des autres élèves. Cette approche multi-acteurs – justice, santé et éducation – est considérée comme un modèle coopératif à consolider afin de prévenir la banalisation des violences sexuelles.
Vers une gouvernance scolaire plus transparente
En débattant des scénarios d’avenir, l’APEEC suggère de s’inspirer des Comités de gestion (COGES) déjà implantés dans le public pour piloter les finances des écoles privées. L’idée séduit plusieurs chefs d’établissement, dont Jean-Roger Banza, directeur d’un collège de Poto-Poto : « Une plus grande implication des parents crédibiliserait nos bilans financiers et réduirait les suspicions. » Du côté du ministère, l’option est envisagée dans le cadre d’un projet de décret en cours de finalisation, destiné à clarifier la comptabilité des établissements. Si le texte devait voir le jour, il matérialiserait la volonté des pouvoirs publics de renforcer la confiance entre acteurs, sans entraver l’initiative privée qui demeure un moteur d’innovation pédagogique au Congo-Brazzaville.
Restaurer la confiance, priorité partagée
À l’issue de deux jours d’échanges nourris, l’assemblée extraordinaire de l’APEEC a rappelé que la réussite éducative repose avant tout sur un pacte de confiance entre parents, enseignants et autorités. Les épisodes récents invitent chacun à rompre le silence face aux dérives, tout en s’appuyant sur les garde-fous juridiques existants. En s’adressant au gouvernement, l’association a salué « la détermination affichée » par les ministères compétents, tout en appelant à une vigilance constante. Entre exigence éthique et impératif de cohésion nationale, la lutte contre la pédophilie et la fraude scolaire est désormais perçue comme un chantier collectif où la société tout entière se trouve engagée.