Un cap gouvernemental pensé pour une décennie post-catastrophe
Réunis trois jours durant au centre de conférences de Mpila, les experts du ministère des Affaires sociales et les conseillers du Programme des Nations unies pour le développement ont passé au peigne fin la version consolidée de la stratégie nationale de relèvement post-catastrophe. Le document, destiné à régir l’action publique de 2025 à 2030, ambitionne de protéger durablement près de 120 000 ménages exposés aux intempéries. « Nous ne pouvons plus travailler au coup par coup ; il nous faut un cadre unique qui oriente la reconstruction et prépare l’avenir », a indiqué Carine Ibatta, directrice de l’Assistance humanitaire. Dans un pays où les crues du fleuve et l’érosion des collines urbaines sont désormais aussi fréquentes que redoutées, l’enjeu dépasse la simple remise en état d’infrastructures abîmées : il s’agit de bâtir une culture nationale de la résilience.
Une feuille de route en résonance avec le Cadre de Sendai
L’architecture de la stratégie s’aligne explicitement sur le Cadre d’action de Sendai, référence onusienne en matière de réduction des risques de catastrophe. Brazzaville y décline deux axes majeurs. Le premier concerne la réparation immédiate des dommages subis par les secteurs sociaux, économiques et environnementaux. Le second anticipe les aléas à venir au moyen d’un système d’alerte précoce multirisques, d’une cartographie fine des zones inondables et d’un fonds d’urgence dédié. En inscrivant ces orientations dans la temporalité du nouvel Agenda 2030 pour le développement durable, le gouvernement entend consolider la cohérence entre politiques climatiques, planification urbaine et programmes sociaux.
Leçons des crues du Nord : reconstruire sans reproduire
Depuis 2019, les affluents de l’Oubangui et de la Sangha débordent régulièrement, fragilisant les digues artisanales et engloutissant récoltes et habitations. Les dernières pluies, d’une violence inédite le 14 juin dernier, ont rappelé que le risque n’épargne plus le Sud ni la capitale. Dans les quartiers de Mayanga et de Mfilou, les sinistrés demandent surtout que les nouveaux logements promis ne soient pas édifiés sur des terrains inappropriés. Les ingénieurs du génie civil proposent désormais des fondations surélevées, une ventilation naturelle et l’usage de briques stabilisées à base d’argile locale, moins coûteuses et plus résistantes. « Reconstruire en Mieux, c’est refuser de replacer la population dans le même piège », résume un consultant du PNUD, soulignant la nécessité de coupler travaux d’assainissement et politiques de relogement.
Financement : la résilience, un investissement et non une dépense
Derrière l’effort technique se profile un défi budgétaire. Une première estimation chiffre à près de 180 milliards de francs CFA les besoins cumulés sur six ans. La stratégie privilégie un montage financier à plusieurs étages : dotation budgétaire nationale, guichet d’urgence abondé par la solidarité internationale et partenariats public-privé pour les infrastructures critiques. Les autorités misent également sur l’assurance souveraine contre les risques climatiques, instrument déjà testé par quelques États insulaires. Pour le directeur de cabinet adjoint du ministère des Finances, « chaque franc investi dans la prévention permet d’en économiser quatre dans la reconstruction ». Cet argument nourrit la volonté de sanctuariser les crédits afin que la réponse aux catastrophes ne dépende plus uniquement de l’aide ponctuelle.
Solidarité ciblée : femmes, autochtones, personnes handicapées au centre
Si la feuille de route parle d’ouvrages et de chiffres, elle consacre aussi un chapitre inédit aux groupes vulnérables. Les violences basées sur le genre, qui surgissent souvent dans les camps temporaires, seront combattues par un dispositif d’alerte communautaire et la formation de médiateurs locaux. Les femmes cheffes de ménage recevront un appui prioritaire en matériel agricole et micro-crédits pour relancer des activités génératrices de revenus. Parallèlement, des rampes d’accès et des signalisations adaptées sont prévues dans les écoles et centres de santé reconstruits. Ces mesures traduisent la conviction que la résilience d’un territoire se mesure à la capacité de ses membres les plus fragiles à rebondir.
Vers 2030 : un contrat moral Etat-territoires
À l’issue de l’atelier, le projet de stratégie doit être soumis au Conseil des ministres avant la fin du trimestre, puis transmis au Parlement. L’adoption attendue fera de ce texte un instrument juridique opposable, garantissant la traçabilité des engagements. Des plateformes régionales de suivi, associant élus locaux, représentants des ONG et chefs traditionnels, seront chargées de remonter les indicateurs de progrès. Au-delà des procédures, c’est une nouvelle grammaire de la gouvernance que le Congo veut consolider : celle qui lie anticipation, redevabilité et participation citoyenne. En dotant la nation d’un bouclier anti-crise pérenne, les autorités entendent répondre au double impératif d’intégrité territoriale et de cohésion sociale, conditions sine qua non d’un développement inclusif et durable.