Un anniversaire chargé de symboles
Le 31ᵉ anniversaire de la Journée de la Libération du Rwanda, célébré à Brazzaville sous le nom évocateur de « Kwibohora », a revêtu une portée qui dépasse la simple commémoration historique. Dans les salons feutrés d’un hôtel de la capitale congolaise, drapeaux tricolores mêlés et hymnes entonnés à l’unisson ont scénarisé un message clair : Kigali souhaite convertir la mémoire de sa résilience en moteur diplomatique. Présent aux côtés de l’ambassadeur Parfait Busabizwa, le ministre congolais des Affaires étrangères Jean-Claude Gakosso a rappelé « l’attachement de Brazzaville à une coopération Sud-Sud ambitieuse, où chaque partenaire trouve un espace d’accomplissement ».
À travers des discours calibrés, orateurs congolais et rwandais ont convoqué un lexique de fraternité, d’unité et de progrès partagé. Pour les observateurs, cette tonalité est tout sauf anodine : elle signale que, dans une Afrique centrale parfois soumise aux turbulences sécuritaires, l’axe Brazzaville-Kigali entend se positionner comme pôle de stabilité et de dialogue, sans prétendre raviver les rivalités géopolitiques qui ont jadis marqué la région.
Brazzaville et Kigali, un partenariat en expansion
Depuis l’ouverture de l’ambassade rwandaise à Brazzaville, les visites ministérielles se sont multipliées, portant sur l’aviation civile, l’agro-industrie ou encore la formation diplomatique. Les analystes y voient une montée en puissance méthodique : le Congo mise sur le modèle de gouvernance numérique rwandais quand Kigali lorgne sur l’expertise pétrolière et forestière congolaise. « Nos économies ne sont pas rivales mais complémentaires », résume un conseiller économique congolais présent à la cérémonie.
Les statistiques corroborent cette dynamique. Selon le ministère congolais du Plan, les échanges commerciaux bilatéraux, bien que modestes, ont progressé de 37 % en deux ans. Parallèlement, RwandAir étudie l’ouverture d’une liaison directe Kigali-Pointe-Noire, signe que le ciel pourrait bientôt matérialiser les ambitions terrestres. Dans les couloirs du ministère congolais des Transports, on assure que l’accord de services aériens « n’est plus qu’une question de réglages techniques ».
Les axes stratégiques d’une coopération pragmatique
Au-delà des déclarations, Kigali et Brazzaville identifient trois piliers stratégiques. Le premier est sécuritaire : en partageant leurs retours d’expérience en matière de désarmement communautaire et de lutte contre les groupes armés, les deux capitales entendent consolider une architecture de paix sous-régionale. Le second est économique : l’industrie du bois et l’agro-transformation congolaises appellent des chaînes logistiques plus performantes, domaine où la rigueur rwandaise en matière de facilitation des affaires est régulièrement saluée par la Banque mondiale. Le troisième, enfin, est culturel et académique : universités et centres de recherche se rapprochent pour mutualiser laboratoires, bourses et programmes de français, d’anglais et de kinyarwanda.
Ces convergences répondent à la feuille de route du Nouveau Partenariat pour l’Afrique (NEPAD), mais aussi à l’Agenda 2063 de l’Union africaine qui promeut une industrialisation verte et inclusive. Jean-Marie Boukama, économiste à l’Université Marien-Ngouabi, note que « le succès de cette coopération se mesurera à sa capacité à redistribuer les dividendes aux populations urbaines, principales consommatrices de nouveaux services numériques et bancaires ».
Des enjeux sous-régionaux partagés
L’Afrique centrale traverse une zone de turbulences sécuritaires, du golfe de Guinée au Nord-Kivu. Dans cette configuration, l’alignement de deux pays politiquement stables – le Congo-Brazzaville sous la houlette du président Denis Sassou Nguesso et le Rwanda guidé par le président Paul Kagame – pourrait constituer un levier diplomatique. Les chancelleries occidentales observent d’un œil attentif la faculté de ce tandem à peser sur les médiations en cours, notamment celles menées par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC).
Sur le plan climatique, Brazzaville et Kigali se retrouvent aussi à la croisée des chemins. Le Congo plaide pour la préservation de son massif forestier, qualifié de « deuxième poumon mondial », tandis que le Rwanda, déjà pionnier dans l’interdiction des sachets plastiques, recherche des partenariats pour financer son plan de conservation des lacs. La perspective d’un fonds vert conjoint, alimenté par des partenaires multilatéraux, circule désormais dans les antichambres ministérielles.
Regards croisés de la jeunesse congolaise
Dans les rues de Mfilou ou de Poto-Poto, la jeunesse brazzavilloise scrute ce rapprochement avec une curiosité pragmatique. Blaise, étudiant en informatique, espère que « les incubateurs rwandais viendront installer des antennes ici ». De son côté, Grâce, commerçante au marché Total, mise sur des corridors routiers plus sûrs pour écouler ses denrées vers les Grands Lacs. Ces attentes illustrent un point crucial : la diplomatie ne saurait se satisfaire d’un vernis protocolaire; elle doit irriguer le quotidien des citoyens.
À l’issue de la célébration, l’ambassadeur Parfait Busabizwa a, d’ailleurs, exhorté ses compatriotes installés au Congo à demeurer « des ambassadeurs du travail acharné ». En miroir, de jeunes Congolais ont proposé d’organiser un forum entrepreneurial Brazzaville-Kigali. Si l’idée n’en est qu’au stade embryonnaire, elle témoigne d’une appropriation populaire de la coopération bilatérale, gage de sa pérennité.