Une volonté politique réaffirmée au cœur de la capitale
Sous les lambris sobres d’un hôtel de centre-ville, l’ouverture de la 7e session du comité des points focaux de l’intégration régionale a fait figure de rappel stratégique. « Il vous appartient de voir comment établir des passerelles avec les activités de l’intégration régionale », a martelé Sylvain Lekaka, directeur de cabinet du ministre de l’Économie, du Plan et de l’Intégration régionale, devant une assemblée composée de hauts fonctionnaires et de représentants d’organisations panafricaines. Le ton est demeuré mobilisateur, presque pédagogiquement optimiste, comme pour souligner la cohérence d’une ligne politique qui place la connectivité au premier rang des priorités nationales.
Les corridors 13, 5 et 29 comme épine dorsale de la mobilité
Dans le jargon des aménageurs, on parle désormais du corridor 13 Brazzaville-Bangui-N’Djamena, du corridor 5 Brazzaville-Libreville et du corridor 29 Brazzaville-Yaoundé. Derrière ces numéros se dessine un maillage territorial dont le potentiel économique séduit autant les négociants forestiers que les jeunes start-uppers des deux rives du fleuve Congo. « Nous devons évaluer leur niveau d’exécution actuel », a expliqué avec une précision d’ingénieur Éric Mbéndé, directeur général de l’Intégration régionale. Les tronçons livrés sont encore majoritairement en phase 2, mais l’existence même d’un calendrier partagé entre États apparaît déjà comme un acquis diplomatique tangible.
Sur le terrain, les équipes techniques signalent la percée de la latérite rouge, des ponts modulaires posés à la saison sèche et des chantiers de franchissement des zones marécageuses du Nord-Congo. L’enjeu dépasse la simple réduction du temps de trajet : il s’agit d’ancrer Brazzaville comme nœud logistique naturel de l’Afrique centrale.
Coordination interministérielle, le défi pragmatique
Le comité des points focaux, institution souple mais déterminante, a vocation à décloisonner les portefeuilles ministériels afin d’éviter la dispersion des efforts. Vingt-quatre départements sont répertoriés dans le catalogue des projets intégrateurs, du Portefeuille économique régional de la CEMAC au Plan stratégique indicatif à moyen terme de la CEEAC. Derrière cette multiplication des cadres, la question centrale demeure celle de la synchronisation. Dans l’hémicycle, plusieurs intervenants ont insisté sur la nécessité d’outils de reporting communs et de bases de données partagées, condition sine qua non d’une lecture transversale des avancées.
Les échanges ont rappelé que l’expertise congolaise en matière de suivi-évaluation s’est hissée ces dernières années à un niveau reconnu par les bailleurs. Pour preuve, la fréquence des missions conjointes Banque africaine de développement – ministère des Finances, qui confère une crédibilité supplémentaire aux requêtes de financement adressées à l’extérieur.
Cap vers les objectifs 2063, entre réalisme et ambition
Le Congo-Brazzaville ne conçoit pas son action isolément : l’Agenda 2063 de l’Union africaine agit comme boussole et horizon. Les experts présents ont rappelé que l’intégration physique, si elle est fondamentale, ne saurait suffire. L’initiative des corridors doit s’accompagner de conventions harmonisées sur les normes douanières, la formation des agents des postes frontières et la digitalisation des carnets de transit. L’équation budgétaire n’est pas pour autant éludée. Les montants mobilisés lors des précédentes sessions témoignent d’une montée en puissance des instruments de financement mixtes, associant emprunts concessionnels et partenariats public-privé.
À ce propos, un responsable de la direction du Trésor a indiqué en aparté que la hausse des recettes pétrolières pourrait, à moyen terme, créer un effet de levier salutaire pour les infrastructures routières, à condition que la gouvernance des projets conserve sa rigueur actuelle.
Des retombées socio-économiques déjà perceptibles
Dans les localités riveraines des chantiers, les marchés hebdomadaires enregistrent une augmentation de la fréquentation, tandis que les coopératives agricoles écoulent plus aisément manioc, banane plantain et miel vers les centres urbains. Les premiers effets sur les prix des denrées restent modestes mais réels selon une note conjointe de l’Institut national des statistiques et de la Banque centrale. Parallèlement, l’Agence congolaise pour l’emploi observe que près de deux mille emplois temporaires ont été créés sur les seules sections du corridor 13, preuve que l’argument social n’est plus cantonné aux rapports techniques.
Le secteur privé se montre attentif. À Brazzaville, un comité ad hoc regroupe déjà les sociétés de fret, l’entreprise publique des chemins de fer et la Chambre de commerce pour préparer l’arrivée d’un trafic accru. Cette anticipation traduit une certaine maturité économique, qui atténue le risque, souvent souligné par les chercheurs, d’infrastructures sous-utilisées.
Vers une gouvernance intégrée de la connectivité régionale
Au terme de trois jours de travaux, la session a adopté un relevé de conclusions qui insiste sur la nécessité de consolider la plateforme numérique de gestion des projets, de renforcer la formation des ingénieurs locaux et de stabiliser le calendrier d’entretien des chaussées. Des sources proches du comité évoquent une feuille de route revisitée, avec des jalons semestriels clairs et un rapportage rationalisé. L’idée est simple : asseoir une culture de redevabilité tout en évitant la lourdeur bureaucratique.
Le discours de clôture a mis en lumière une vision où l’infrastructure devient catalyseur d’un marché commun, mais aussi symbole d’un vivre-ensemble renouvelé. Comme l’a résumé un diplomate de la CEEAC : « Relier nos capitales, c’est rapprocher nos peuples ». Dans cette perspective, Brazzaville entend demeurer un moteur. Les prochains mois diront si la diplomatie routière, désormais lancée à pleine vitesse, franchira sans heurts les derniers tronçons encore en chantier.