Brazzaville au cœur de la diplomatie culturelle africaine
À l’ombre élégante des Tours Jumelles, l’Hôtel Hilton s’est mué en laboratoire d’idées où élus locaux, spécialistes du patrimoine et partenaires techniques débattent des ressorts pluriels de la création africaine. L’ouverture officielle, présidée par le préfet Gilbert Mouanda-Mouanda au nom du ministre de l’Intérieur, a souligné l’ancrage historique de Brazzaville comme carrefour artistique majeur. Citant tour à tour les brass bands de Poto-Poto et la littérature de Sony Labou Tansi, le préfet a rappelé que « la culture est ce qui relie notre passé, éclaire notre présent et inspire notre avenir », formule qui résonne comme profession de foi pour les collectivités venues de tout le continent.
Culture et développement : une convergence désormais indissociable
Le thème retenu – « La culture au service du développement des collectivités locales » – n’a rien de cosmétique. Plusieurs études du Programme des Nations unies pour le développement confirment qu’un dollar investi dans l’économie créative génère jusqu’à sept dollars de valeur ajoutée locale. C’est cette équation vertueuse qu’entend activer la Commission présidée par le député-maire Dieudonné Bantsimba. Dans son propos liminaire, l’édile a insisté sur le rôle des municipalités comme premiers investisseurs de l’industrie culturelle : accès au foncier pour les ateliers, fiscalité incitative pour les festivals, ou encore dispositifs d’insertion des jeunes par les métiers du spectacle. « Il ne s’agit plus de financer des événements ponctuels, mais d’intégrer la dimension artistique dans nos plans d’urbanisme, nos curricula scolaires et nos politiques de résilience climatique », a-t-il martelé.
Engagements multilatéraux et partenariats renforcés
Au-delà du cercle africain, les partenaires européens ont fait entendre leur voix. Augustin Bondo Tshiani, représentant la délégation de l’Union européenne, a rappelé l’existence d’une enveloppe dédiée au programme « Creative Africa Nexus », confirmant « l’engagement plein et entier de Bruxelles à accompagner les collectivités qui placent la culture au centre de leur stratégie de développement humain ». Dans la même veine, Mme Fatimétou Abdelmalek, présidente exécutive des CGLU-Afrique, a évoqué un « fonds de jumelage culturel » destiné à favoriser les residency exchanges entre villes francophones et lusophones du continent. Cette articulation Sud-Sud-Nord illustre la mue progressive d’une coopération jadis verticale vers un maillage horizontal, où l’expertise circule autant que les œuvres.
Des défis opérationnels aux ambitions concrètes
Si la rhétorique du développement culturel est aujourd’hui bien rodée, les participants n’en ont pas moins dressé la liste des obstacles persistants. Questions de gouvernance, rareté des données fiables sur les revenus créatifs, précarité du statut d’artiste : autant de failles qu’il faudra colmater. Les maires de Ouagadougou et de Maputo, présents dans la salle, ont plaidé pour la création d’un Observatoire panafricain des industries culturelles afin de doter les décideurs d’indicateurs objectivés. De son côté, la représentante du ministère congolais des Finances a esquissé la piste d’un mécanisme de garantie publique pour les micro-crédits accordés aux porteurs de projets culturels, arguant qu’« un film documentaire ou un label musical présentent, pour une banque, le même potentiel de rendement qu’une PME traditionnelle dès lors que le risque est partagé ».
Brazzaville, tremplin vers la Capitale africaine de la Culture 2026
La réunion de Brazzaville sert également de rampe de lancement à la future Capitale africaine de la Culture, dont l’édition 2026 devrait consacrer les villes capables de marier inclusion sociale, numérique créatif et préservation du patrimoine immatériel. Les experts travaillant à la rédaction de la feuille de route disposeront de trois jours pour aligner leurs recommandations sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine et les Objectifs de développement durable. À l’issue des travaux, un communiqué final définira un calendrier précis : formation d’un comité d’évaluation, critères de sélection axés sur la participation communautaire, et mise en réseau des bibliothèques municipales via des plateformes open source. « Notre ambition est simple : démontrer qu’une politique culturelle rigoureuse est, pour nos villes, un amortisseur de chocs économiques et un catalyseur d’appartenance », résume un haut fonctionnaire congolais sous couvert d’anonymat.
La culture comme socle de cohésion et d’attractivité territoriale
En filigrane de ces échanges, c’est la question de la citoyenneté qui affleure. Dans un contexte africain où plus de 60 % de la population a moins de trente ans, l’accès aux espaces de création apparaît comme un antidote puissant à la marginalisation. Les débats brazzavillois ont insisté sur la nécessité d’ancrer les programmes de médiation dans les quartiers périphériques, afin que la musique, le théâtre ou les arts numériques irriguent l’ensemble du tissu urbain. À terme, les élus espèrent attirer un tourisme culturel durable, stimuler l’économie orange et conforter la réputation de Brazzaville comme « ville créative de l’UNESCO ». Portée par un volontarisme institutionnel et l’engagement constant des autorités nationales, la capitale congolaise s’affirme ainsi comme un laboratoire où s’expérimente la fusion du symbolique et du pragmatique, condition sine qua non d’un développement endogène et inclusif.