Une odyssée pédagogique partie de Brazzaville
À l’aube du 8 juillet, l’aéroport Maya-Maya a vu s’envoler un groupe discret mais porteur d’espoirs : cinq étudiants et deux enseignants, élus parmi une centaine de candidatures lors d’un atelier sélectif organisé du 2 au 4 juillet. Leur destination, Shenzhen puis Guangzhou, n’a rien d’anodin. Dans cette Silicon Valley chinoise, la plateforme Codemao orchestre une session intensive de codage graphique, discipline charnière pour les applications ludiques et éducatives. L’initiative relève d’une coopération triangulaire associant le gouvernement congolais, la représentation de l’Unesco et la société technologique chinoise, au nom d’un principe simple : favoriser l’insertion professionnelle des jeunes par le numérique.
Codemao, passerelle sino-africaine vers la littératie numérique
L’entreprise Codemao, déjà implantée dans plusieurs capitales africaines, propose aux élèves une pédagogie visuelle inspirée du langage Scratch. En dix jours, les participants devront concevoir un mini-jeu vidéo et une interface éducative. Pour l’Unesco, dont la stratégie 2022-2029 accorde la priorité à l’Afrique, le projet sert de laboratoire à l’apprentissage expérientiel. « Les jeunes ont besoin de compétences directement transférables à l’entrepreneuriat », rappelle Mme Fatoumata Barry Marega, représentante résidente, soulignant que le partenariat assoit la convergence entre la formation technique et le développement durable.
Entre soft power et diplomatie de l’innovation
Sur le plan géopolitique, l’initiative illustre la densification des échanges éducatifs entre Brazzaville et Pékin. Depuis 2021, près de 300 boursiers congolais ont rejoint des universités chinoises, majoritairement dans les filières scientifiques. Avec Codemao, la coopération franchit un palier plus opérationnel : il s’agit de transférer non seulement des contenus, mais aussi des méthodologies agiles, en adéquation avec le Plan national de développement 2022-2026. Les autorités congolaises y voient un moyen de désenclaver la jeunesse urbaine face à la compétitivité régionale, tout en préservant une souveraineté numérique naissante.
Des témoignages qui ancrent l’espoir
« En apprenant ce langage, nous pourrons revenir et développer notre pays comme d’autres le font », confie Onix-Van Vichy Bossoto, la voix teintée d’enthousiasme. Parmi ses camarades, Sandra Ngouabi rêve déjà d’implanter un atelier de jeux éducatifs dans un lycée de Makélékélé. Les deux enseignants qui les accompagnent, l’un du secondaire général, l’autre de la filière technique, devront, à leur retour, adapter les curricula officiels. Cette dimension de démultiplication donne de l’épaisseur au projet : une seule cohorte peut amorcer la formation de plusieurs centaines de lycéens d’ici la fin de l’année scolaire.
Défis d’appropriation locale
Certes, l’engouement n’élude pas la question des infrastructures. À Brazzaville, la connexion haut débit reste inégale, et les laboratoires d’informatique des lycées manquent parfois d’équipements actualisés. Le ministère de l’Enseignement technique affirme cependant que l’installation de nouvelles salles numériques, financées par une ligne budgétaire conjointe Congo-Chine, devrait débuter au quatrième trimestre. L’enjeu consiste à éviter que les compétences fraîchement acquises ne s’étiolent faute d’outils. La Banque mondiale estime qu’un point de couverture Internet supplémentaire pourrait faire gagner 0,35 % de PIB à l’économie congolaise, argument de poids pour accélérer les investissements.
Vers une génération d’architectes de l’intelligence artificielle
À moyen terme, les autorités souhaitent orienter ces formations vers l’intelligence artificielle éducative, domaine auquel Codemao consacre d’importants moyens de R&D. La perspective rejoint l’ambition présidentielle de bâtir un hub sous-régional de la tech à Kintélé. L’idée est de coupler l’ingénierie logicielle à la créativité locale – design, narration, langue – afin de produire des solutions panafricaines. « La réussite de cette mission pilote déterminera l’ampleur de la phase III, qui pourrait concerner trente établissements », confie une source proche du projet.
Un signal positif pour l’écosystème brazzavillois
Au-delà du contenu académique, le séjour en Chine offre aux étudiants une immersion culturelle dans les incubateurs de Shenzhen, où la collaboration public-privé constitue la norme. Ils y observeront des modèles de financement participatif, des concours de start-ups et des dispositifs de mentorat que Brazzaville cherche à répliquer. La boucle retour est prévue pour la mi-juillet ; une restitution publique se tiendra ensuite à l’Institut français du Congo, suivie d’ateliers ouverts aux élèves de terminale scientifique. Autant de démarches qui confortent l’idée, partagée par plusieurs analystes, que l’avenir des économies africaines se jouera autant dans les salles de classe connectées que dans les mines de matières premières.
Cap sur la diffusion des connaissances
Les sept voyageurs ne sont pas présentés comme une élite détachée, mais comme les avant-postes d’un mouvement collectif. Une plateforme en ligne, développée par la start-up locale DzaleuTech, permettra de diffuser les modules réalisés en Chine et de compiler les retours d’expérience. À terme, un certificat professionnel devrait être co-signé par le ministère congolais de la Jeunesse, Codemao et l’Unesco, renforçant la valeur de l’apprentissage auprès des employeurs locaux. Dans un contexte où 76 % des jeunes urbains possèdent un smartphone, selon l’Agence de régulation des communications électroniques, l’impact potentiel dépasse largement le cercle immédiat des bénéficiaires.
Une dynamique qui épouse les priorités nationales
En articulant formation, diplomatie et développement économique, le voyage des cinq étudiants illustre la volonté des pouvoirs publics d’aligner les compétences de la jeunesse sur les chaînes de valeur du XXIᵉ siècle. Les signaux sont encourageants : inscription croissante des modules numériques dans les programmes scolaires, création de fab-labs universitaires et multiplication des hackathons soutenus par le secteur privé. Autant d’indicateurs qui, conjugués, tracent un horizon où la créativité brazzavilloise se déploiera sur des lignes de code plutôt que de s’exiler à l’étranger.