Une méthodologie financière aux enjeux internationaux
Sous l’air alangui d’un mois de juillet pourtant propice aux congés scolaires, les couloirs feutrés d’un hôtel du centre-ville de Brazzaville ont bruissé d’un vocabulaire inhabituel : « risque résiduel », « architecture de contrôle interne », « formulaire FACE ». Près de cent partenaires d’exécution du système des Nations Unies se sont retrouvés deux jours durant pour dompter les arcanes de la Harmonized Approach to Cash Transfers, mieux connue sous son acronyme HACT. Derrière cette terminologie, c’est toute la chaîne de valeur des fonds onusiens – de la décaissement initial à la justification finale – qui se voit normalisée et sécurisée. Les agences, en tête l’Unicef, le PNUD et l’UNFPA, entendent ainsi prévenir retards, irrégularités et soupçons, dans un contexte où la confiance du contribuable international se monnaie cher.
Brazzaville, laboratoire de la bonne gouvernance monétaire
Pourquoi Brazzaville ? « La capitale congolaise se situe à un carrefour sous-régional stratégique où transitent à la fois des flux humanitaires et des financements de développement. Son statut en fait un terrain d’expérimentation privilégié », explique un cadre du PNUD ayant requis l’anonymat. L’atelier, soutenu par les autorités nationales, s’inscrit dans le sillage des engagements pris par le gouvernement pour consolider la transparence budgétaire et la reddition de comptes. Plusieurs hauts fonctionnaires du ministère congolais des Finances sont d’ailleurs intervenus en séance, rappelant que l’harmonisation des procédures demeure un outil de souveraineté budgétaire autant qu’un gage d’efficience vis-à-vis des bailleurs.
Entre rigueur comptable et impératifs éthiques
Au-delà des tableurs et des rapprochements bancaires, les formateurs ont insisté sur la dimension humaine du mécanisme. Djariatou Sow Sall, représentante adjointe par intérim de l’Unicef Congo, a posé le décor dès l’ouverture : « Nous voulons que chacun reparte avec la capacité de prévenir les erreurs, mais aussi la détermination de faire reculer la fraude et l’exploitation sous toutes leurs formes. » Les modules consacrés à la protection contre les abus sexuels ou à la déclaration des conflits d’intérêts ont suscité de vives discussions. Un responsable d’ONG confie avoir redécouvert « l’utilité d’un code de conduite que l’on croyait cantonné aux bureaux de New York ». Les concepteurs du HACT rappellent, eux, que la conformité se mesure autant aux lignes comptables qu’au respect des droits fondamentaux.
Un outil à la croisée des ambitions nationales et multilatérales
L’approche HACT ne vit pas en vase clos. À Brazzaville, le dispositif vient compléter les réformes fiscales entreprises depuis plusieurs années pour moderniser la gestion publique. Les partenaires nationaux y voient un instrument supplémentaire d’attractivité financière, capable d’attirer de nouveaux financements, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux. « Plus la traçabilité est forte, plus la crédibilité du pays s’en trouve renforcée », estime un économiste de la place. Cette synergie entre initiatives locales et standards globaux contribue à ce que les projets d’infrastructures sanitaires ou éducatives bénéficient d’une exécution fluide, depuis la planification jusqu’au suivi-évaluation.
Focus sur le formulaire FACE, pierre angulaire des décaissements
Chaque participant est reparti avec un manuel – parfois comparé à une « bible comptable » – consacré au formulaire FACE, cet outil qui formalise toute demande de trésorerie auprès d’une agence onusienne. Les ateliers pratiques ont décortiqué, ligne après ligne, les subtilités du document : ventilation par activité, justification des soldes, documentation des reçus. « Le moindre champ non rempli peut bloquer un versement, rappelle un formateur de l’Unicef. Une vigilance méthodique fait gagner, au final, plusieurs semaines de trésorerie à un projet. »
Perspectives pour les organisations de la société civile congolaise
La société civile locale, souvent à la manœuvre sur le terrain, se félicite d’une telle capacitation. Marie-Noëlle Bouanga, directrice d’une association œuvrant à Makélékélé, voit dans le HACT « un passeport pour accéder à de plus gros financements, à condition d’accepter la discipline qu’il impose ». De son côté, un jeune start-upper spécialisé dans le numérique propose déjà une application mobile destinée à automatiser la collecte des pièces justificatives, preuve que l’écosystème entrepreneurial brazzavillois sait saisir l’occasion.
Des défis persistants malgré l’enthousiasme
Reste la question de la pérennisation. La rotation du personnel, le déficit de connectivité dans certaines localités et la complexité des procédures internationales constituent encore des obstacles. Les agences onusiennes plaident pour un accompagnement au long cours, assorti d’évaluations régulières. Toutefois, l’assurance d’un cadre financier plus robuste nourrit la confiance des investisseurs, un point que les acteurs économiques locaux ne manquent pas de souligner.
Vers une culture partagée de la reddition de comptes
En refermant le chapitre de ces deux journées, les organisateurs ont insisté sur la responsabilité collective. « Le HACT n’est pas qu’un ensemble de formulaires ; c’est une culture de la diligence, de la transparence et du partenariat », a résumé un délégué du Fonds mondial. Le gouvernement, présent en observateur attentif, voit dans cette dynamique l’opportunité d’accélérer son agenda de développement à horizon 2025 tout en demeurant aligné sur les Objectifs de développement durable. De fait, le dialogue technique instauré à Brazzaville pourrait servir de matrice à d’autres capitales de la sous-région, preuve qu’une bonne pratique, lorsqu’elle est partagée, vaut souvent davantage qu’un simple chèque.