Une séquence diplomatique à Dar es Salaam
Le déplacement du ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, dans la capitale économique tanzanienne ne relevait pas d’un simple agenda protocolaire. Reçu par la présidente Samia Suluhu Hassan, l’émissaire de Brazzaville portait un message personnel du président Denis Sassou Nguesso, plaçant d’emblée l’entretien sous le signe d’une confiance politique assumée. À huis clos, les deux dirigeants ont balayé les priorités communes d’une relation bilatérale qui s’est densifiée au fil des dernières années, portée par une convergence de vues sur la gouvernance multilatérale et la coopération Sud-Sud.
Au cœur des échanges, la candidature congolaise à la direction générale de l’UNESCO a constitué un fil rouge. Dans la perspective de la 43ᵉ session de l’institution, prévue en novembre 2025 à Samarcande, Brazzaville souhaite créer un faisceau d’alliances africaines capable de soutenir Firmin Edouard Matoko. Le chef de la diplomatie congolaise a donc mis en avant, sources à l’appui, la nécessité pour le continent de faire entendre une voix unifiée dans les débats globaux sur l’éducation, la culture et les sciences.
Le profil panafricaniste de Firmin Edouard Matoko
Actuel sous-directeur général de l’UNESCO chargé de la Priorité Afrique et des relations extérieures, Firmin Edouard Matoko capitalise une expérience institutionnelle de près de trois décennies qui le place au carrefour des grandes réformes de l’organisation. Né à Pointe-Noire, formé à Paris et à Montréal, l’homme jouit d’une réputation d’architecte du « Partenariat global pour l’Afrique » lancé en 2013, programme ayant consolidé près de 300 millions de dollars de financements pour les écoles du Sahel, selon les chiffres compilés par l’UNESCO.
Son profil revêt une dimension symbolique : il incarne l’idée d’un leadership africain capable de concilier expertise technocratique et sensibilité culturelle. Dans un paysage où la diplomatie du savoir se révèle stratégique, la candidature Matoko transcende les clivages linguistiques ou sous-régionaux pour se projeter comme une cause continentale, argument volontiers mis en avant par les chancelleries de Brazzaville et de Dar es Salaam.
Les rouages d’une élection stratégique à l’UNESCO
L’élection du directeur général de l’UNESCO obéit à un calendrier long et à des équilibres complexes. Les 193 États membres, représentés au Conseil exécutif puis en session plénière, articulent leurs votes autour de considérations géopolitiques où l’alternance régionale joue un rôle décisif. Dans ce champ magnétique, l’appui d’un poids lourd de l’Afrique de l’Est, tel que la Tanzanie, représente un actif politique conséquent, susceptible d’entraîner un effet d’entraînement au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est et au-delà.
Jean-Claude Gakosso a d’ailleurs rappelé, selon une source diplomatique congolaise, que « la solidarité africaine ne peut rester un slogan ; elle doit se traduire dans les urnes du multilatéralisme ». La réplique résonne comme un marqueur d’intention, invitant les capitales africaines à coordonner leurs votes pour infléchir la gouvernance mondiale des savoirs, plutôt que de se neutraliser par des candidatures concurrentes.
Convergence Congo-Tanzanie sur les enjeux sanitaires continentaux
Au-delà du registre culturel, la rencontre a permis de saluer la nomination du Professeur Mohamed Yakub Janabi à la tête du Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique, dont le siège se trouve à Brazzaville. Le président Denis Sassou Nguesso a fait transmettre ses encouragements « fermes et entiers » au nouveau responsable, conférant à l’axe Congo-Tanzanie une dimension sanitaire de premier plan.
Cet alignement vient opportunément conforter la capitale congolaise dans son statut de hub sanitaire continental, héritage de la présence historique de l’OMS-Afrique depuis 1952. Selon les observateurs, la convergence des deux pays dans la lutte contre les pandémies, l’essor du numérique médical et la formation des personnels de santé pourrait ouvrir la voie à de nouveaux partenariats triangulaires associant bailleurs internationaux et start-up locales.
Vers un corridor économique Brazzaville-Dar es Salaam
La composante économique n’a pas été reléguée au second plan. La présidente tanzanienne a exprimé son intérêt pour une extension des liaisons aériennes de la compagnie Air Tanzania vers Brazzaville, actuellement desservie via Kinshasa. Un tel rapprochement abaisserait les coûts logistiques, fluidifierait le fret et stimulerait un tourisme intracontinental en pleine croissance, estimé par l’Organisation mondiale du tourisme à plus de 50 millions de voyageurs africains par an avant la pandémie.
Les ministres congolais et tanzanien des Affaires étrangères ont, par ailleurs, évoqué des synergies portuaires entre Dar es Salaam et Pointe-Noire, dans la perspective d’un corridor multimodal reliant l’océan Indien et l’Atlantique. Les opérateurs du secteur minier congolais y voient un moyen de diversifier leurs routes d’exportation, tandis que Dar es Salaam renforcerait son rôle régional dans le transit des matières premières.
Coopération Sud-Sud, un levier pour la jeunesse congolaise
Au-delà des clichés diplomatiques, l’intensification de la coopération Sud-Sud revêt une portée sociétale tangible pour les jeunes urbains de Brazzaville. Les programmes d’échanges universitaires, de financement des industries créatives et de mentorat entrepreneurial discutés lors de la visite pourraient, à terme, élargir les horizons professionnels d’une génération avide de formations spécialisées et de mobilité.
En magnifiant l’enjeu de l’UNESCO, les autorités congolaises rappellent qu’une victoire de Firmin Edouard Matoko ne serait pas qu’un succès symbolique. Elle offrirait au pays une plateforme pour défendre des priorités telles que l’éducation STEM, la sauvegarde du patrimoine immatériel et l’inclusion numérique. Autant de chantiers dont la jeunesse congolaise serait à la fois bénéficiaire et actrice, prolongeant le sillage d’une diplomatie « utile » au service du développement.