Une tribune à Talangaï pour un sursaut agricole national
Au siège de l’Union congolaise des coopératives, producteurs et artisans du Congo, la chaleur de ce vendredi 27 juin 2025 n’a pas entamé l’affluence. Autour d’Aser Sidney N’se Adzeney, président d’une jeune organisation officiellement portée sur les fonts baptismaux un an plus tôt, se mêlaient responsables de coopératives, représentants institutionnels et citadins curieux du devenir de leur assiette. La marraine, Mme Joël Longonda, a elle-même salué « l’audace tranquille » d’une structure qui, en un court laps de temps, prétend passer du plaidoyer à l’action. La tonalité était, certes, grave : le Congo importe encore près de 70 % de son panier alimentaire. Mais l’orateur principal a su désamorcer la fatalité avec une note de volontarisme placée sous le sceau d’un patriotisme économique assumé.
Un diagnostic sans fard des terres arables inexploitées
Aser Sidney N’se Adzeney n’a pas dissimulé les paradoxes : plus de dix millions d’hectares cultivables, un climat jugé « tropicalement bénin », des cours d’eau abondants, et pourtant un marché brazzavillois dépendant des cargaisons venues de la rive opposée ou de la lointaine Asie. « Le potentiel est immense, mais un peuple qui ne produit pas n’est pas libre », a-t-il rappelé en citant le président Denis Sassou Nguesso. Cette formule, sortie de son contexte protocolaire, a résonné comme un impératif collectif. Selon des évaluations internes relayées durant la conférence, à peine 9 % des terres arables seraient mises à contribution de manière intensive, le reste se partageant entre jachères traditionnelles, forêts denses et friches administratives.
ZLECAF : une fenêtre continentale qui ne pardonne pas l’amateurisme
À l’horizon de la pleine activation de la Zone de libre-échange continentale africaine, le Congo se trouve symboliquement au cœur d’un marché estimé à plus d’un milliard de consommateurs. Or, souligne l’UNICOOPAC, la concurrence agroalimentaire n’attend pas ; l’étiquette congolaise devra s’adosser à une qualité standardisée, à des volumes constants et à une logistique irréprochable. « Accéder au marché n’est pas suffisant, il faut pouvoir livrer, à temps et en quantité », martèle le président, conscient qu’un mauvais positionnement laisserait le champ libre aux producteurs est-africains déjà rodés aux exigences de l’export intra-africain.
Former, mécaniser, industrialiser : le triptyque d’une stratégie pragmatique
Pour éviter de laisser les discours labourer seuls, l’Union prévoit une série de formations de terrain dès le second semestre 2025. Ingénieurs agronomes, vétérinaires et économistes ruraux devront arpenter les départements afin d’enseigner semis en ligne, gestion hydrique ou comptabilité coopérative. Des centres de mécanisation appelés à être négociés avec les pouvoirs publics offriront un accès mutualisé aux tracteurs, semoirs et batteuses, réduisant sensiblement le coût d’entrée des petits producteurs. La finalité déclarée reste l’industrialisation des filières manioc, maïs, riz, mais aussi cacao et café de niche, afin d’adosser la croissance agricole à des unités de transformation locales créatrices d’emplois urbains.
Un plaidoyer qui s’inscrit dans la continuité des politiques publiques
Dans son propos liminaire comme dans ses réponses aux journalistes, Sidney Adzeney a insisté sur la complémentarité entre la plateforme syndicale et l’État. Il salue « l’effort budgétaire constant » concédé ces dernières années au ministère de l’Agriculture et reconnaît que la feuille de route gouvernementale, priorisant la sécurité alimentaire et la diversification économique, crée un cadre propice aux initiatives citoyennes. La présence de représentants administratifs à la conférence valide, de manière tacite, cette co-construction. Une source du ministère, sollicitée en marge de la rencontre, renchérit : « Le Congo se doit d’entrer dans la ZLECAF en producteur net. Les coopératives structurées seront nos meilleurs relais ».
Cap sur 2030 : vers une souveraineté alimentaire mesurable
Les objectifs chiffrés de l’UNICOOPAC demeurent ambitieux : doubler la production vivrière d’ici 2030 et réduire d’un tiers les importations courantes. Un comité scientifique se chargera de l’évaluation annuelle, tandis qu’un observatoire des prix permettra de corréler, en temps réel, le progrès agricole et le pouvoir d’achat brazzavillois. Il ne s’agit pas d’un pari solitaire. La jeunesse, constamment citée comme vecteur d’innovation, est invitée à investir l’agrobusiness plutôt qu’à rallonger les files d’attente des concours administratifs. « Semer, c’est administrer autrement », glisse, non sans ironie, un ingénieur agronome présent dans la salle.
Entre réalisme et volontarisme, un sillon politique consensuel
La conférence de Talangaï aura finalement démontré qu’une rhétorique de réveil rural peut cohabiter avec une ambition urbaine assumée. Loin d’exonérer quiconque de ses responsabilités, l’UNICOOPAC fait le pari d’une synergie : les coopératives pour la mise en œuvre, l’État pour le cadre juridique et financier, les bailleurs pour l’accompagnement technique. Dans une capitale où l’on mesure l’efficacité d’une idée à sa capacité à remplir les étals du marché Total, les acteurs agricoles savent qu’ils seront jugés sur la densité des paniers ménagers plutôt que sur la densité de leurs communiqués. Reste à transformer l’effervescence médiatique du jour en campagnes d’emblavement pérennes, afin qu’à l’horizon 2030, le rendez-vous symbolique entre terre nourricière et marché continental ait bien lieu.